Photos : Bruno Bohnuil, Team Zongshen, Manfred Mothes
Stéphane Mertens a un palmarès impressionnant, jugez plutôt : 19 victoires en Championnat de Belgique 250-500, 6 victoires en Championnat d'Europe, 12 victoires en mondial d'endurance, 11 victoires et 46 podiums en mondial Superbike, 12 victoires en BMW Boxer CupIl a été Champion de Belgique en 1981 et 1984, Vice Champion d’Europe 250 cc en 1983, Champion de Hollande, Supersport 600 en 1996, Vice Champion du Monde Superbike 1989 , 3ème 1990, 4ème 1988, 1991, Champion du Monde d'Endurance en 1995 et 2002, Vice Champion du Monde d'Endurance en 1990, 2000 et 2003 et 3ème en 2001 et Champion d’Europe BMW Boxer Cup 2001 et 2002
Au total ce sont 87 victoires 155 podiums que Stéphane a obtenus ... et quand on sait qu'il continue à courir ... chapeau Monsieur Mertens.
Ce très grand champion, autant par son palmarès de pilote que par ses qualités d'homme, a accepté de répondre longuement à mes questions.
- Stéphane peux tu te présenter ?
Je suis né le 14 mai 1959 à Paris. Je suis célibataire, je n'ai pas d'enfant.
- Parles nous de tes débuts en compétition moto
.J'ai commencé à courir en 1980 en participant à la Coupe Kawasaki (Casque samouraï)
- Dans ton fabuleux palmarès quelle est ta première grande victoire ?
C'était en 1983 en Championnat d'Europe 250, j'ai gagné à Imatra (Suède) sur une Yamaha TZ 250
Il y a aussi ma victoire en 1988 en Championnat du monde Superbike, j'ai gagné la course d'Estoril (Portugual) sur une Bimota 750 YB6
- Quelles sont les plus belles courses que tu as disputées.
Il y en a beaucoup (plus de 87 victoires et 155 podiums), j'en citerai quelques unes;
1981 Gedinne (B), en championnat de Belgique promos, au guidon d'une RDLC 350. Après avoir rencontrer des problèmes moteur aux essais, le soir mon mécanicien, concessionnaire Yamaha, rentre à Bruxelles récupérer le moteur sur une moto accidentée pour le remonter dans ma moto durant la nuit. Le lendemain en partant bon dernier sur la grille je gagne ma première course sur circuit (unique course finie cette année là).
1982 Mettet (B) en Championnat d'Europe 250. Après mes non-qualifications lors des deux premières course de la saison (Mugello, Le Castellet) je termine 3ème alors que j'ai chuté dans le dernier virage. C'était la 4ème course de ma carrière que je finissais.
1983, En revenant d'Imatra, alors que j'avais remporté la course du championnat d'Europe 250, je m'arrête à Anderstorp (Suède) où avait lieu le Grand Prix. Je me fais engager après moults palabres pour la 2ème journée des essais et je me qualifie de justesse. En partant de la dernière ligne, sous la pluie, je me retrouve après quelques tours en bagarre pour la 3ème place avec le pilote d'usine Yamaha Carlos Lavado. Je le passais dans la partie technique, il me repassait dans la ligne droite. A quelques tours de la fin, en me relâchant avant de préparer mon attaque finale, je me suis écarté de la trajectoire et j'ai chuté. C'était un podium raté pour mon 2ème GP, mais je me suis fais connaître dans le monde des GP.
1988, A Estoril en championnat du monde Superbike, après avoir été obligé par le Team Bimota de laisser gagner mon équipier Italien Davide Tardozi alors que j'étais en tête avec 12 secondes d'avance, je me suis défoncé encore plus en deuxième manche pour dominer la course avec une telle avance que les responsables de Bimota n'on plus osé me donner le même ordre. Cela se reproduira encore par la suite en Nouvelle-Zélande, ce qui finalement me fera louper le titre de champion du monde qui était à ma portée et Bimota aussi...
1990 24h du Mans et Bol d'Or, mes 2 premières victoires en endurance associé à Viera Mattioli sur la Honda d'usine. Un rêve s'est concrétisé !
1995, 24h de Spa-Francorchamps, avec l'excellent team privé Guignabodet. Encore un rêve concrétisé avec ma 3ème victoire sur ce circuit mythique (1989,1990,1995). Mais celle-ci m'a apporté en plus la satisfaction d'avoir réalisé une course splendide sous la pluie avec mes équipiers Mattioli et Siméon en battant à la régulière les teams officiels présents, ce qui nous valu par la suite de décrocher le titre mondial.
2004 Je citerai aussi cette magnifique 2ème place acquise aux 6h de Zhuhai avec le Team Zongshen et mes équipiers Pierro Lerat et mon ami Bruno Bonhuil.
- Tes plus mauvais souvenirs ?
Avoir raté le titre mondial Superbike en 1989 lors de la dernière épreuve à Mansfield en Nouvelle Zélande. Alors que j'étais en tête du championnat avant cette course, la rupture du disque avant sur ma Honda RC30 entraîna ma chute en première manche. Malgré ma victoire autoritaire en deuxième manche, Fred Merkel me souffla le titre. Ce fût très difficile à digérer.. D'autant plus que par la suite l'occasion de décrocher un titre SBK ne se présentera plus, la Honda RC3O se faisant, dès 1990, supplanter par la performante Ducati de Roche.De 1991 à 1994 étant passé dans le clan Ducati, j'ai malheureusement connu la frustration d'être manié comme un pion qui ne devait pas être champion du monde. Je n'étais techniquement pas avantagé et ce pour raison politique et commerciale au profit d'autres pilotes tel l'Américain Doug Polen pour ce que le marché US représente en volume de vente et plus tard Carl Fogarty pour le marché Anglais. J'étais malheureusement Belge et j'ai du me résoudre pendant quatre années passées chez Ducati a jouer les seconds rôles malgré ma victoire acquise dès ma première participation au guidon de la Ducati à Donington en 1991.
- Quelques anecdotes de courses ou autres ?
Il fût un temps pas si lointain où l'on avaient la chance en Belgique d'avoir de grandes courses internationale en plus du Grand Prix. C'était sur le circuit de Chimay dans les années 70, je devais avoir 16 ans, quand je me suis trouvé face à Michel Rougerie assis sur le rebord de la fenêtre grande ouverte de la chambre qu'il occupait au 1er étage d'un petit hôtel-bar planté au milieu de la prairie qui faisait office de paddock. Il plaisantait avec toutes les personnes qui se présentaient. Ce genre de scène fait malheureusement partie du passé, c'était vraiment la belle et "grande époque", celle qui m'a fait rêver et envie de faire partie du Continental Circus.
- Les pilotes qui t'ont marqués à l'époque d'un point de vue pilotage et humainement ?
Sans hésiter Kenny Roberts père. Home de défi, il a apporté à la moto une approche plus professionnelle de la préparation du pilote et surtout de nouvelles techniques de pilotage avec la maîtrise de la glisse grâce au dirt-track qu'il pratiquait aux USA. J'ai eu la chance d'être invité dans son ranch Californien à plusieurs reprises entre 1988 et 1994, grâce à lui j'ai réellement découvert ce qu'était la technique du pilotage en y côtoyant les plus grands pilotes Américains de l'époque tels Eddie Lawson, Waine Rainey, Randy Mamola, John Kosinski, Bubba Shobert etc.. De plus il n'était pas comme d'autres qui s'entraînent dans leur coin en cachant leur secret, au contraire il créait l'émulation entre les compagnons d'entraînement. Nombres de pilotes sont passés par chez lui, comme Jacques Cornu, Alex Crivillé, Sete Giberneau, etc.. Il a par la suite créé une école de dirt-track à Barcelone qui a permis à de nombreux pilotes européens de réaliser les bienfaits de l'entraînement à la glisse, je pense notamment à Ruben Xaus et James Toseland (Champion du monde Superbike 2007) que j'ai personnellement encadré lors d'un stage que j'organisais en 1998. Grâce à Roberts, mon pilotage est devenu beaucoup plus sûr et beaucoup plus efficace. Malheureusement l'école de Barcelone a été obligé de fermer suite au manque de rendement financier.
- Les pilotes français de l'époque ?
Depuis tous temps, la France fait partie des grandes nations du sport moto. A partir de 1982 en championnat d'Europe j'ai côtoyé une ribambelle de pilotes Français (le nombre d'engagés aux essais frôlait parfois les 80) dont Jean-Michel Mattioli, Jean Foray, Patick Chatelet, André Goin, Thierry Rapicault, Patick Igoa et plein d'autres. C'était une époque magnifique, baston sur la piste, l'entraide dans le paddock n'était pas un vain mot si on avait besoin d'un coup de main. Après les essais c'était le match de foot et le soir barbecue commun. J'ai par la suite toujours entretenu de très bonnes relations avec le milieu moto français, que ce soit dans les Grand Prix et surtout en Endurance où des teams français m'ont permis d'écrire parmi mes plus belles pages de mon histoire sportive.-
Ton aventure avec Zongshen ?
L'aventure Zongshen (2001-2004) fût une aventure humaine extraordinaire, l'endurance offre une leçon de vie et de force commune inégalée que j'ai connue également avec les teams privés Guignabodet et Phase One (GB). J'ai de plus la satisfaction personnelle d'avoir grandement contribué aux trois titres de champion du monde d'Endurance acquits par ces trois teams privés (Guignabodet 1995 - Phase One 2000 et Zongshen en 2002)
- Tu était plus qu'un coéquipier pour Bruno, peux tu nous parler de lui ?
J'ai connu Bruno à l'époque des Grand-Prix 250. Je me souviens de cet accident au départ du Grand Prix d'Espagne à Jarama en 1986. C'était encore le temps des départs à la poussette. J'étais parti en 5ème ligne comme un boulet de canon, alors qu'en première ligne le Japonais Taira poussait encore sa moto quand je suis arrivé sur lui. L'accrochage fût inévitable, et le carambolage qui s'ensuivit également. Bruno faisait partie des pilotes à terre. C'est à la suite de cet accident que dès l'année suivante, les départs à la poussette furent interdits. Par la suite nous nous sommes côtoyés en Superbike, mais notre amitié est réellement née lorsque je me suis retrouvé avec lui chez Zongshen en 2001. C'est à partir de ce moment que j'ai pu découvrir les énormes qualités humaines de Bruno. Je me suis rendu compte que nous partagions la même vision des choses quant à l'approche professionnelle de notre métier. Méticuleux dans sa préparation physique, ainsi que dans la communication et la relation avec ses partenaires et la presse. Choses indispensables pour poursuivre notre passion à haut niveau malgré notre âge certain.. Nous avons également dirigé des stages de pilotages ensemble, Bruno était devenu un élément incontournable de la Stéphane Mertens Racing School, de par sa personnalité attachante et son sérieux dans l'instruction, il était des plus apprécié par les stagiaires. Nous étions en symbiose parfaite, je n'ai d'ailleurs plus organisé de stages depuis son départ, sa disparition a été un choc, c'est certain, il me manque beaucoup.
- Ta reconversion ?
La reconversion tarde à se dessiner. A 48 ans je suis toujours aussi passionné par le pilotage. C'est une chance énorme de pouvoir être pilote professionnel et j'en profite jusqu'au bout. J'aimerais également me remettre à l'enseignement, il serait dommage de ne pas pouvoir faire partager toute mon expérience à de jeunes pilotes motivés. J'ai coaché de jeunes Chinois l'année dernière, c'était incroyable de voir leur évolution rapide. Malheureusement le projet du team s'est arrêté suite au manque de budget. En Belgique les moyens de soutien financier sont très limités. Malgré cela la relève se pointe dont le jeune Xavier Siméon qui se positionne comme le futur grand pilote belge. Je n'hésite pas à le conseiller, comme j'ai également conseiller Vincent Lonbois 16 ans lors de la course stock 600 à Magny-Cours.
- Stéphane et BMW c'est une longue histoire ?Elle a débuté en 2000 lors de la Boxer-Cup française en levée de rideau des GP, et a continué par la suite jusqu'en 2005 avec deux titres acquis en Boxer-Cup international. C'était une ambiance particulière, un retour en arrière avec des team amateurs dirigés par des concessionnaires qui découvraient le monde de la courses. L'ambiance était sympa et l'organisation impeccable. J'y ai côtoyé d'anciennes gloires comme Randy Mamola, Kevin Schwantz, Luca Cadalora, Aspar Martinez, Jürgen Fuchs. Ont s'est bien tiré la bourre, je les ai à chaque fois dominés.. dommage qu'on ne se battaient pas pour un titre en GP500 ! (rires)
- Que fais tu actuellement ?
J'avais décidé de me retirer fin 2006 après mon double titre de champion de Belgique Superbike et Endurance. Un appel de BMW Allemagne m'a fait revenir sur ma décision. Pouvoir participer à un programme d'usine sans trop de pression avec une R1200S Boxer me convenait bien. Malheureusement un accrochage sur la piste d'essais BMW à Miramas (France) avec un testeur de la marque m'a envoyé deux mois à l'hôpital et empêché de participer aux courses d'endurance avec le team. Je suis remonté en selle aux essais du Bol d'Or pour me rassurer sur mon état, mais je n'étais pas encore prêt à me lancer sur une épreuve aussi physique que représente une course de 24h.
- Tes projets ?BMW poursuit son programme d'Endurance la saison prochaine, ma place dans le team est toujours réservée. J'aime les défis et celui-ci en représente un gros. Je me donne jusqu'à la fin de l'année pour décider si je serai apte à le relever.
- Et les courses voitures ?J'ai participé à quelques courses de voiture dont le championnat de Belgique Belcar GT en 1999 au volant d'une Porche. Ce fût une belle expérience, avec quelques belles 4ème places. Pour évoluer à haut niveau les budgets nécessaires sont très élevés, j'ai préféré revenir à la moto car c'est dans ce milieu que je me sens le mieux, un milieu de vrais passionnés..
- Ton avis sur l'évolution actuelle des Grands Prix et du Superbike.
Le Superbike est une très belle catégorie, spectaculaire avec de très bons pilotes, elle a su préserver un aspect plus humain que les GP. Le niveau technique en plus, elle reste à l'image que j'ai connu a ses début gros baston et pilotes qui ne se prennent pas la tête.
- Suis tu le championnat de France Superbike ?
Un petit peu, je tire un grand coup de chapeau à Christophe Guyot et son équipe pour leur implication dans la recherche d'évolution des courses nationales ainsi qu'à la fédération française qui appui le projet dans l'intérêt de tous. Il est important pour un pays d'avoir une base solide, c'est dans le championnat national que se prépare les futurs grands pilotes de demain. Ce qui n'est malheureusement pour l'instant plus le cas en Belgique..
- Que penses tu du niveau des Français en Grands Prix et en Superbike ?
La compétition de haut niveau est plus élitiste qu'auparavant, les budgets sont beaucoup plus importants et le nombre d'engagés est drastiquement limité. Il n'y a plus autant de pilotes français qu'auparavant, excepté en Endurance qui heureusement, pour beaucoup de pilotes, reste une spécialité Française.En Moto GP, Randy De Puniet et Sylvain Guintoli sont jeunes et très performants ils sont de magnifiques ambassadeurs du sport moto français. Ils ont démontré qu'ils méritent tous deux leur place dans un top team, c'est dommage que Randy ne reste pas avec Kawasaki, j'espère qu'il pourra parfaitement s'exprimer avec son nouveau team.
- En dehors de la piste roules tu encore (tout terrain, route.) ?Je ne pratique plus journellement la moto de route depuis que j'ai commencé la compétition en 1980. Je préfère me défouler sur un circuit, c'est plus raisonnable. Par contre, il m'arrive de partir en vacances en été avec ma compagne au guidon d'une BMW K1200 LT.
Je pratique également l'enduro, je pars prochainement en faire dans les Pyrénées espagnol. L'hiver je fais encore du Super-Motard sur le circuit de Francorchamps, un championnat amateur y est organisé, l'ambiance est géniale.
- Possèdes tu une ou des motos ? Lesquelles ? Celles que tu as possédées ?
Avant je possédais divers types de motos, cross, trial, enduro, supermotard, maintenant je n'ai plus qu'une Suzuki DR400-
En dehors de la moto quels sont tes autres loisirs ?
J'ai toujours été très sportif, j'aime faire du vélo, du footing. J'ai toujours été attiré par les sports extrêmes comme le saut en parachute, l'escalade où le ski hors piste. J'ai également toujours été passionné par les voyages et j'ai encore beaucoup de pays que j'aimerais découvrir dont l'Amérique du Sud. A pied, en bus, à vélo, à moto où en voilier je suis partant..
- Quels conseils donnerais-tu à un jeune pilote ?
De tout faire pour réaliser son rêve comme j'ai pu le faire. De tout donner, pour saisir sa chance. Mais surtout ne pas croire que la réussite tombe du ciel. Le sport de haut niveau est de plus en plus exigent, la réussite du métier de pilote ne s'improvise pas. Elle passe d'abord par une préparation physique sérieuse et rigoureuse, c'est la base de tout sport, la condition physique et le mental son liés.
Pour ce qui est de l'aspect technique . L'entraînement sur tout type de moto est primordial. De nombreux champions pratiquent le tout-terrain. Stoner et Vermeulen, comme Doohan à l'époque pour les Australiens ainsi que Hayden comme Roberts pour les Américains pratiquent le dirt-track. Ca fait réfléchir !!! De plus j'ai entendu dire qu'un certain Valentino Rossi s'y était mit également depuis longtemps.
Comme le dirt track pour la glisse, chaque discipline apporte quelque chose de positif. L'équilibre et la concentration pour le trial, le physique pour le cross, le supermotard étant l'étape transitoire idéale entre le tout terrain et la vitesse.
Ensuite le relationnel. On ne peux pas réussir une carrière seul, d'où l'importance de bien se faire entourer. Il ne faut pas hésiter à communiquer, à se vendre comme on dit, pour se faire connaître. Démarcher les partenaires fait partie du jeu, les remercier aussi ! Tout comme les journalistes. Pour tout cela Bruno Bonhuil était exemplaire et le trophée mit en place par sa fille Ludivine est une très belle incitation et prise de conscience aux exigences de la réussite de ce sport magnifique.
Merci Stéphane pour ce long et passionnant entretien. En espérant te voir prochainement au guidon.
Francis