Photo Philipe Canville
Né le18 avril 1960 à Meudon (92)
Christian Debarre est incontestablement l’une des icones de la moto. Son Joe Bar Team nous accompagne depuis plus de 20 ans et sans Bar2, la moto ne serait pas la même sur la planète terre. Pour Bike 70, Christian s’est livré avec François Gomis au jeu des questions/réponses. Portrait d’un homme qui ressemble à beaucoup de motards sauf qu’il a une silhouette à la Blueberry, un coup de crayon magique et un sens de l’humour hors norme.
Présentation
Je suis marié et père de deux grands gaillards de 19 ans (jumeaux), Maxime et William. Un papa, décédé en 2000, à l'âge de 82 ans, une maman, toujours vaillante, et un frère aîné.
J’étais cancre et cossard, puis j’ai fait trois ans dans un lycée d'arts graphique, rue Madame à Paris, dans le 6e. Avec, à l'arrivée, un C.A.P. d'illustrateur en publicité. J'aurais d'ailleurs dû décrocher un bac technique dans la foulée, mais une chute en moto m'a fait louper la dernière épreuve, ce qui m'a disqualifié.
Avant, pendant, après la moto, mes métiers sont illustrateur en publicité, dessinateur de presse, maquettiste, auteur de BD, journaliste.
Pourquoi la moto ?
Va savoir. Il faudrait sans doute des pages pour répondre à cette question. Peut-être aussi quelques séances de psychothérapie. Ce qui est sûr, c'est que, au cours de ma vie de motard, j'ai aimé la moto de manières différentes et pour des raisons différentes. Je veux dire par là que ma passion pour cet engin ne se nourrissait pas des mêmes choses ou des mêmes envies selon que j'avais 14 ans et que j'en rêvais, 20 ans et que je m'essayais à la compétition, 27 ans et que je participais aux essais avec le staff de Moto Journal, et après 33 ans, quand je n'ai plus roulé que pour me véhiculer.
Premier contact avec les deux roues.
Il s'agissait de la Mob de ma grande cousine. J'avais 13 ans et rien, après, quels que soient les bolides que j'ai pilotés, ne m'a plongé dans une telle volupté, ne m'a apporté une telle griserie, donné un tel sentiment de liberté et de puissance.
Ma première vraie moto était une Kawasaki Z 650, d'occasion mais rutilante, achetée en 78. Quand je suis sorti de chez Murit, à son guidon, je crois bien que c'était, à ce moment-là en tout cas, le plus beau jour de ma vie.
J'ai aimé toutes mes motos, pour des raisons différentes. Aucune ne se détache vraiment. Peut-être ma 350 RDLC, quand même. La V-Max aussi a été un choc, au début, mais très bref. Cela dit j'en ai eu très peu. J'ai surtout roulé avec des machines destinées aux essais presse.
Je n’ai plus de moto. Je n'ai plus assez de points sur mon permis pour pouvoir circuler en moto. La dernière était une 1000 Varadero, que j'ai filée à mon vieux pote Bidault.
La première approche de la compétition.
La piste "sauvage" de Coulommiers. Un aérodrome désaffecté situé non loin de la ville. Tout le bassin parisien allait s'y entraîner après la fermeture de Rungis et avant que Carole ne soit construit (N.D.L.R. Le circuit Carole est inauguré le 1er décembre 1979). Des petites courses sauvages, le dimanche, entre blaireaux dans mon genre. Puis les 6h de Coulommiers, en 79, plus sérieux, avec une grosse concurrence, de purs bolides, de vrais pilotes. Je m'étais pas mal débrouillé et, du coup, j'ai décidé de faire la coupe Kawa l'année d'après.
Analyse des années 70 en général.
Mazette ! Ca, c'est de la question ! On a combien de temps ? Combien de pages ?
Les 70's, en résumé, je ne les ai jamais autant aimé que maintenant. On avait le droit de tout, tout était possible, les génies se bousculaient dans tous les domaines, le cinoche, la musique, la BD, la littérature... Les motos avaient une gueule terrible, le folklore motard de l'époque était pittoresque et attachant, bref, tout était mieux, beaucoup mieux même, que maintenant. Je dois en être au stade du vieux con.
Analyse des années 70 moto.
Il me semble que je viens en partie de répondre à ça. Le reste, je pense, est contenu dans ma BD.
Les meilleurs souvenirs.
Une manche de coupe Kawa, en 89, je bossais alors à MJ. Christian Bourgeois venait de faire renaître la coupe Kawa de ses cendres et mettait, à chaque course, une moto à disposition d'un « V.I.P ». Je m'y étais collé pour l'épreuve de Croix-en-Ternois, où, bien sûr, il a plu. Je n'avais pas fait de course depuis longtemps et je me retrouvais, à 30 ans, au milieu d'une meute de jeunes furieux, à la moitié du championnat, et je n'en menais pas large. Mais c'est la première fois que j'avais un mécano (compétent) à ma disposition et, surtout, que j'ai pu me pointer sur le circuit avant le week-end de course, et m'entraîner suffisamment. Bon, j'ai fini sur le dos mais, avant, j'ai eu le temps de me prouver qu'avec du matos correct et suffisamment entraîné, je n'étais pas si maladroit que ça. Même Boubou était surpris de ma petite prestation. Mais il a moyennement apprécié que je lui plie sa meule ! Et puis aussi un 9e temps au Mans, en 82, en coupe Yam, lors des séances pré-qualifs. 280 engagés, ça faisait du monde derrière ! Je m'étais toujours vu comme un poireau, mais là, bon sang, je n’étais pas peu fier. Mais une blessure récoltée aux qualifs m'a empêché de prendre part à la course.
Les mauvais souvenirs.
Il y en a plein. Trop. L'un des pires, c'est en 80, en ouverture de la coupe Kawa. A l'époque, je me voyais déjà champion du Monde. J'ai compris aux essais que ce n’était pas dans la poche. Et en course, ma première "vraie" course, si on peut dire, je n’ai pas fait trois virages avant de me mettre à plat. Je n'avais plus une thune et j'étais dégoûté.
La moto aujourd’hui en général.
Je les déteste. Ou plutôt elles me laissent froid, je ne me sens pas concerné. On dirait qu'elles sortent toutes d'un manga. Cette agressivité puérile me fait penser à de gros jouets. Pire, des jouets prétentieux. Et d'autres me font penser à des engins de chantier. C'est sans doute pour ça aussi que je ne suis pas pressé de remettre mon cul sur une selle. Ou alors un vieux piège. Mais moi, la mécanique...
La moto aujourd’hui (compétition).
Je suis très mal placé pour en juger. La seule vraie moto de compétition sur laquelle j'ai roulé, c'est une 250 Honda, au milieu des années 90. J'en garde un souvenir ému, mais autant dire aussi que je manque de référence. Je reste quand même baba devant les Motogp. Bon sang, ça doit être quelque chose de s'arsouiller avec ça. Encore qu'une bonne 500 usine d'avant le "Big Bang", dans le genre sauvage et indomptable, ça devait mettre la barre vachement haut. Arrête-moi si je dis une connerie mais, à l'époque, j'ai le souvenir que c'était le moins cassé qui raflait le titre.
Les premiers coups de crayon.
Tout petit j'imagine. Du plus loin que je m'en souvienne j'ai toujours dessiné. Enfin jusqu'à ces dernières années.
Ma première publication est une planche de BD d'humour, dans le magazine Plein Pot, en 77. Déjà de la moto.
Pourquoi le surnom de Bar2 ?
À cause de Fred (Tran-Duc), à MJ, qui m'appelait toujours Barre-De, ou bardeu (Debarre en verlan, quoi). J'aimais bien parce que, une fois écrit "Bar2", avec un 2, ça évoquait la courses, un numéro de pilote. Fallait-il que je sois bête. Maintenant je suis obligé de faire avec.
Références artistiques.
La première qui me vient c'est évidemment Franquin (Gaston Lagaffe). Tout petit, je me suis nourri de son style, c'est presque devenu le mien. Ça, c'est pour le dessin. Pour l'humour, je suis plus influencé par Lucky Luke. L'humour un peu British, un peu cynique, qu'à employé Morris, puis bien sûr Goscinny, après, me plaisait beaucoup. Et puis, pour en revenir au dessin, tant d'artistes, de peintres, d'illustrateurs ! D'auteurs BD aussi, bien sûr. La liste serait vraiment trop longue.
Source d’inspiration.
Toujours concernant le Joe Bar, en dehors des artistes que j'ai cités avant, il y a eu le Rocker Team, d'Angélini, qui paraissait épisodiquement dans MJ, au début des 70's, et qui m'avait marqué quand j'étais minot. Mais mes personnages et leur personnalité, les anecdotes, m'ont surtout été inspirés par mes potes d'arsouilles, les "champions de quartier" que je côtoyais à mes débuts, et aussi certains essayeurs de moto journal, dont la mauvaise foi et l'intrépidité ont été pour moi une grande source d'inspiration. Et par tout ce que j'ai moi-même vécu, naturellement.
Pourquoi tu « tapes » juste avec tes dessins ?
Je ne sais pas mais ça fait plaisir à entendre ! Si ce que tu dis est vrai, alors disons que c'est peut-être grâce à mon sens de l'observation. Et peut-être aussi à une acuité particulière que j'ai pour comprendre les caractères, les personnalités, les émotions. Ça doit être un truc dans ce genre là.
Pourquoi délègues-tu ?
Je n'avais jamais imaginé faire carrière dans la BD. Je voulais faire un album sur le thème du Joe Bar, j'avais des trucs à dire là-dessus, que personne n'avait jamais raconté avant, ou pas comme ça, mais je n'avais pas pour autant envie d'en faire mon métier. Et puis, tout bêtement, pondre un album fait de "planches-gag", avec des dessins de motos, c'est monstrueusement difficile. Quand j'ai fini le tome 1, je me suis dit : même si j'en vends un million : plus jamais ça, c'est trop dur.
N.D.L.R. : Christian a fait plus tard l’album n°5.
Les projets.
J'ai trois trucs en cours. Le premier est un recueil de nouvelles ayant pour thème le folklore du Joe Bar où j'en dis un peu plus long que dans ma BD sur mes personnages, la culture moto des 70's, l'univers des "champions de quartiers". Un truc entre pièce de théâtre et passages romancés. Je pars de certains gags du tome 1, et du 5 qui est aussi de moi, et je divague là-dessus. C'est mes premiers vrais débuts dans l'écriture. Ca doit sortir en janvier 2013.
Il y a toujours le projet d'une adaptation pour le cinéma de mon premier album, qui se passerait dans les 70's, donc, avec les pièges de l'époque. J'ai écrit un scénario là-dessus, de nombreux producteurs sont intéressés mais se heurtent toujours au même problème : ce film va coûter une fortune à réaliser, mais quel est le public potentiel ? Sera-t-il suffisant pour amortir les frais ? Sans parler de la difficulté de trouver des acteurs qui soient à la fois populaires et qui conviennent à la personnalité de mes motards. Mais bon, je vois toujours des producteurs, il est très possible que ça se fasse. Ce qui est délicat aussi c'est que je veux garder la mainmise sur cette adaptation. Je voudrais éviter à tout prix que ça accouche d'une daube, ou d'un film qui dénaturerait l'esprit que j'ai voulu donner à ma BD. J'ai très peur de décevoir ses fans. Bref, tout ça est pas mal compliqué. Sans compter que je ne connais rien à ce milieu.
Et mon dernier projet en cours, qui est quasiment achevé, est un recueil de contes pour enfants un peu particulier. Disons qu'il s'agit des contes pour enfants interdits aux moins de 18 ans. Je peux te garantir que rien d'aussi bête ni d'aussi dégoûtant n'aura jamais été publié. Et d'aussi marrant, j'espère. Encore que sur ce dernier point j'ai un gros un doute. C'est vraiment très particulier. Et très con.
Autres activités.
Lire et écrire. Et siroter un verre, ou deux, voire trois, au coin d'un bar, dans l'un des caf’conç où j'ai mes habitudes.
Ton rêve ?
Je n'en ai plus guère hélas. Si, quand même, j'adorerais que mon recueil de nouvelles, qui s'intitulera "Chroniques du Joe Bar", plaise à de nombreux lecteurs. J'ai adoré faire ce truc, j'en ai pas mal bavé aussi, et j'aimerais vraiment que ce bouquin puisse avoir sa chance, et pourquoi pas une petite carrière.
Et aussi que Barry Sheene ressuscite, renfile son cuir et vienne remettre un peu d'âme, de folie, d'humour, de rock’n’roll roll et de testostérone dans les GP. Ca nous changerait de sa pâle copie, aussi titrée soit-elle. Mais, là, oui, je crains qu'on soit vraiment dans le domaine du rêve.
Chrono(logie)
1977 : réalise des planches pour Plein Pot, un magazine de moto illustré par des dessins.
1980 : réalise pour la Sté Pernod, qui sponsorise un grand nombre de Français en GP, un album de BD promotionnel qui relate de façon humoristique la saison 1979. Idem pour les saison 80 et 83.
1985 : dessins de presse pour Moto Crampons, puis pour Moto Journal, qui l’intègre à son staff essai en 1987.
1989 : le Joe Bar est publié en épisodes dans MJ.
1990 : ces planches sont réunies dans un album, le tome 1, édité par Vents d'Ouest.
1992 : la série, que Christian a abandonné pour se consacrer à la presse moto, Moto Revue en l'occurrence, est reprise par « un vieux pote à moi, une sorte de jeune disciple, ‘Fane » dixit Christian Debarre. ‘Fane est le surnom de Stéphane Deteindre. Ce même ‘Fane réalisera les tomes 2, 3 et 4.
1993 : se lie d'amitié avec le jeune pilote français Eric Mahé et l'aide de différentes manières, notamment en lui servant d'attaché de presse, et en lui permettant d'être sponsorisé par le Joe Bar Team. Éric Mahé sera champion de France Superport en 1999.
1995 : sortie de Trajectoires, un jeu de société labellisé Joe Bar Team, créé par Christian Debarre et qui a pour singularité d'être un simulateur de pilotage sur papier. Christian a la grande satisfaction d'apprendre plus tard de la bouche d’Hervé Poncharal (team manager) que ce jeu est le passe-temps favori d'Olivier Jacques.
1997 : avec Reynald Lecerf et Michel Bidault, création du Joe Bar Mag, un magazine de moto passablement loufoque, qui cessera de paraître au début des années 2000.
1998 : Michel Bidault et Christian publient, sous label Joe Bar Team, l'Encyclopédie Imbécile de la Moto.
2003 : Christian se remet aux crayons et réalise le tome 5 de la série.
2004 : 'Fane reprend le manche et sort le tome 6.
2010 : sortie du tome 7, signé Pat Perna pour les scénarios, et Henry Jenfèvre pour les dessins.
Actualités 2012/2013 :
Deux albums en cours : le premier réalisé par Pat Perna et Henry Jenfèvre et le second par 'Fane (qui, contre toute attente, précise Christian, a décidé de s'y recoller le temps d'un album).
Nouvelle collection de figurines Joe Bar Team, toujours en collaboration avec Hachette. Le thème sera les sportives cultes des années 50 à 80 (projet en cours).
Sortie, chez 12 bis, des Chroniques du Joe Bar, recueil de nouvelles. Pas de dessins, uniquement de la prose (projet en cours). Photo Philippe Canville
JOE BAR TEAM La série Joe Bar Team a été diffusée dans quasiment tous les pays d'Europe. Les ventes globales, tous albums confondus, doivent être de l’ordre de 3 ou 4 millions d’exemplaires. Le tome 1 a été écoulé, lui, à plus d'un million d'exemplaires. |
ÉDITEURS Les albums du Joe Bar Team sont édités par la maison d’édition Vents d’Ouest, filiale de la maison d’édition Glénat. Le groupe Glénat, basé à Grenoble (38), est le leader des éditeurs indépendants du secteur d’activité de la B.D. 12 bis est une maison d’édition fondée en 2008 par un ancien Directeur général des éditions Glénat. |
PLEIN POT Le journal mensuel de Bande dessinée « Plein Pot » a paru de 1977 à 1979. L’éditeur de Plein Pot était la société de publicité et communication Twin Cam (Vitry-sur-Seine 94) qui a également édité des revues promotionnelles pour l’écurie moto Sté. Pernod et des bandes dessinées consacrées au football sur la période du « Mondial » 1978. Les dirigeants de Twin Cam étaient passionnés de moto. |