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Charles Krajka

Né à Paris le 16 septembre 1934 

Depuis presque six décennies, Charles Krajka est un personnage quasi légendaire de la moto française. Pilote solo et side-cariste, motociste, Moto Guzziste historique, commissaire technique, grand défenseur de la sécurité des pilotes, ses casquettes ou plutôt ses célèbres nœuds papillon sont nombreux. Son épouse est également hors norme, et impossible de parler de Charles sans évoquer celle que l’on surnomme « Titi ». Portrait non romancé d’un couple de travailleurs acharnés au caractère passionné, qui a consacré sa vie à la moto.
À la fin des années 40, le jeune parisien Charles Krajka obtient son « certif ». Son professeur lui suggère de poursuivre sa scolarité, mais il préfère rentrer à l’école de sellerie d’art de la ville de Paris pour travailler le cuir. Un choix logique puisque son père est maroquinier 77 rue Saint-Maur dans le onzième arrondissement de la capitale. Mais le cuir, même travaillé noblement, est moins amusant que la moto et la mécanique découvertes à cette période.
Le jeune Charles avait en effet un problème récurrent sur sa moto, une MR. Les réparateurs lui disaient que c’était la bobine d’allumage qui claquait. Jusqu’au jour où il ose démonter et s’aperçoit que cette panne à répétition vient de la clavette de volant et non avec la bobine. C’est ainsi que Charles Krajka va se mettre à la mécanique.


Il faut noter que, juste à côté du magasin de son père, au 81 rue Saint Maur, il y avait un motociste, Michel Heuqueville (Gnome et Rhône, FN et Matchless). Cette adresse se révèlera importante plus tard.
En 1950, Charles rentre donc à Moto Bastille comme arpette pour 5 000 anciens francs par semaine, soit 50 NF (nouveaux francs). Moto Bastille, l’un des magasins les plus connus de Paris, commercialisait 42 marques de motos ! L’atelier était au sous-sol… Les plus grosses ventes étaient les anglaises, en mono 250 et 350 et bicylindre (BSA, Ariel…). Moto Bastille vendait aussi des Guzzi et Charles se débrouille pour acheter une Airone, séduit par cette moto très intéressante au plan technique. Un an après, Charles Krajka quitte Moto Bastille après le refus d’une augmentation (à 3,20 NF de l’heure) et va travailler à Moto Jaurès (19è).
En marge de son travail, Charles Krajka roule vite et bien. D’où l’idée de faire « des courses ». Il prend sa première licence en 1955 au Moto-Club Châtillonnais, club où il rencontre Mademoiselle Pienne. Cette jeune fille, surnommée Titi, pilote un scooter italien Rumi. Elle est aussi appelée « la terreur des foules et la joie des hôpitaux » en raison d’un optimisme sans limite sur les capacités d’adhérence de sa monture. Cette terreur des foules deviendra plus tard Madame Krajka.

En 1955, Charles fait son service militaire. Son frère l’engage au premier pas motocycliste à Montlhéry, épreuve organisée par le Motocycle Club de France (M.C.F.) et le pétrolier BP. Charles prend un permission (de quitter la caserne) et termine deuxième au guidon de sa 250 Guzzi Airone. Et l’année d’après, il remet ça et est champion de France. Son commentaire : « J’avais une machine très fiable, je ne chutais pas, et je freinais très fort » ! Après la remise des prix en fin d’année (à l’Automobile Club de France place de la Concorde), Charles, la demoiselle Pienne et le voisin motociste Heuqueville se retrouvent pour diner chez Madame Krajka mère qui apprend à cette occasion que son fils fait des courses de moto. Jusqu’alors, il mécaniquait en douce dans la rue, refaisant même son moteur dans les parties communes de l’immeuble, autant dire les toilettes. Les week-ends de course, les deux frères partaient soi-disant camper, les plaques numéro peintes à la gouache, le tromblon et les couronnes arrière sur le porte-bagage. Sans oublier qu’il y avait de la triche sur sa date de naissance, la majorité étant alors à 21 ans. Les finances manquaient à tous. Charles poursuit : « Titi m’a dit qu’il n’y aurait pas un sous pour la course. Aussi, nous arrivions avec les copains à nous faire un peu d’argent en side-car cross, j’étais passager, et en course de côte. On se débrouillait. Nous n’avions souvent qu’une paire de pneus. Il fallait racheter ou récupérer des pneus d’occasion, retaillés au fer à souder. On a commencé à courir avec des motos de tourisme qu’on tapait. Ensuite il y a eu des tourismes sport que l’on pouvait encore améliorer. Mais c’était toujours difficile. Nous avons même couru un Bol en payant l’engagement à crédit avec l’accord de l’organisateur. Pendant la course, nous demandions un coup de main financier au public ! ».

En 1961, Michel Heuqueville cède son magasin aux Krajka qui se lancent à leur compte. Surface : 24m2, pas une moto neuve en stock, trésorerie inexistante, un petit stock de pièces détachées, et les panneaux BSA, Matchless et BMW (agent réparateur) au-dessus de la vitrine. Le panneau BMW, donné par Rieutord, ne restera pas longtemps accroché. Le concessionnaire, Moto Bastille, prévenant l’importateur BM qui lui demande d’enlever. Mais les porteurs de journaux qui alimentaient les kiosques en side-car ont repéré l’adresse. Les Krajka travaillent sur les side-cars Bernadet, ont une BSA A 10 attelée à un châssis/plateau Belgian militaire pour le boulot et une DKW attelée plus civilisée pour emmener la famille, et Charles fait des rallyes en side avec un copain de club. Autant dire qu’avant d’être catalogués Guzzi, les Krajka vont commencer de se faire leur place grâce au side-car en alliant travail et plaisir, commerce et course. Charles Krajka : « En 1962, il ne restait que trois side-cars de course en France. J’ai été voir M. Renaud, le président du M.C.F. et lui ai demandé s’il était d’accord pour organiser une course à Montlhéry si nous étions douze side-cars au départ. Il m’a dit OK. J’ai fait le tour des copains et onze ont dit d’accord. Nous avons couru dans une formule Critérium moto de série et châssis libre (caisse enlevée et remplacée par une planche). Rapidement, le side de compétition a redémarré en France. Quand j’ai arrêté en 1979, il y avait 45 side-cars en National. Entre temps, on était passé aux roues de 16 pouces puis aux roues de voiture en 15 ou même 13 pouces (des roues d’Austin pour avoir les pneus racing !) ». 

Avant de poursuivre, il est nécessaire de remettre en perspective ce qu’était la moto à cette époque.
Années 1950 : ça tourne, gros marché de la moto française. En plus des grandes marques tricolores, il y a les moteurs Hydral 2 temps et AMC 4 temps. Les motocistes de l’hexagone trouvent ou peuvent commander à peu près tout chez de très nombreux artisans. Pour l’Ile de France, Levallois-Perret (92) est un véritable hyper-marché de la mécanique (tournage, fraisage, réalésage, ressorts en tout genre, etc.).
De 1960 à 1967/68, marasme de la moto. C’est le grand développement de l’automobile. Il fallait vendre la 4 CV Renault et la 2 CV Citroën. Les assurances deux-roues augmentent, surtout pour les scooters qui vont quasiment disparaître.
  Charles Krajka raconte : « Au magasin, on vivait avec la main d’œuvre. Tout était réparable. Titi se déplaçait chez le grossiste pour une chambre à air ! Et on prévenait quand on voyait qu’on aurait 15 jours de retard pour payer nos fournisseurs. Comme notre chiffre d’affaires était très faible, aucun organisme de crédit ne voulait nous ouvrir un dossier-client. Nous vendions 3 ou 4 motos par an. C’est Clément Garreau qui s’est porté garant pour que nous puissions vendre à crédit ». Toutefois, petit à petit, les Krajka élargissent leur clientèle. Leur caractère bien trempé assure aussi leur réputation. En 1967, ils reprennent le marchand de vin d’à côté et double ainsi leur surface ! Avec 45 m2 (boutique et atelier), une petite réserve, une cuisine et une cave, la situation s’améliore. Cette même année 67, une rencontre va être déterminante. Dès 1961, Charles avait pris l’habitude de faire les Éléphants, cloutant ensuite des pneus et plaçant des tôles au-dessus des cylindres pour ramener l’air chaud dans les manchons de sa dernière acquisition, une BMW R 60. Et c’est aux Éleph’ 1967 qu’il découvre la Guzzi V7 (700 cm3). L’essayeur maison et le directeur commercial de la firme de Mandello del Lario y étaient venus avec cette toute nouvelle moto pour la faire connaître. En plus, elle était attelée. Charles Krajka s’en souvient bien : « En revenant, j’ai dit à ma femme, j’ai vu quelque chose de formidable, une grosse Guzzi avec un side. Elle a un bicylindre en V de 42 cv, puissance comparable à celle de la BMW R 69 S, un cardan comme la BM, mais en plus un démarreur électrique, une dynamo et une batterie 12V (BM en 6V) ». 

INTERVIEW
Interview : Jean Claude Jacq. Cadreur : Pierre Kress. Montage : Francis Boutet  

Les Krajka livreront à leur première V7 en 1968, l’importateur Moto Guzzi pour la France étant les Ets. Teston à Marseille (voir plus bas). Le ministère des Finances de la maison Krajka, Titi, croit aussi en cette moto et donne son feu vert pour que Charles en achète une. Omniprésent, Krajka va alors lancer la marque sur Paris et la région. En plus, attelée, la brave Guzzi promène la famille.
Mais les premières V7 sont perfectibles. Charles apporte quelques modifications et débarque à Mandello del Lario pour les montrer. C’est le célèbre Lino Tonti, l’ingénieur en chef, qui regarde. Quelques temps après, Krajka voit que les V7 qui arrivent reprennent certaines de ses idées. Commence alors une relation privilégiée avec le constructeur italien, mais aussi avec ses fournisseurs ! Les Krajka vont en effet chercher les accessoires et une partie des pièces directement de l’autre côté des Alpes avec l’accord tacite de l’usine. Cette anomalie commerciale est due principalement à une vision à l’italienne de l’exportation… 

Il est vrai que la gestion de Guzzi sera plutôt chaotique au moins pendant les années 70. La marque est reprise au début de cette décennie par le groupe d’Alejandro de Tomasso (1928-2003), un industriel argentin qui travaillait en Italie avec plus ou moins de bonheur, mais toujours sur une grande échelle (c’est une image). De Tomasso rencontre le PDG de Motobécane et l’idée de distribuer Guzzi via le réseau de la firme de Pantin fait son chemin. Conséquence, les frères Teston perdent l’importation des motos (mais conservent celle des pièces détachées). Sauf que le réseau Motobécane n’est pas prêt, mais pas du tout. Pourtant la demande est là puisqu’après une version plus moderne de la V7, la V7 Spécial, Moto Guzzi va sortir deux modèles entièrement nouveaux en 1972 : la 850 GT et la V7 Sport. Les quatre années précédentes, Teston et Krajka, au fond très complémentaires, ont marché très fort et assuré l’implantation de la marque. Charles et Titi Krajka vont continuer seuls sur leur lancée, déménageant, toujours en1972, à Vincennes (rue des Laitières) pour un local nettement plus fonctionnel que les deux petites boutiques accolées de la rue Saint-Maur. Les affaires sont florissantes. Beaucoup pensent même que l’importateur Moto Guzzi, c’est Krajka !

Il faut dire que les aventures continuent avec, un peu plus tard, Motobécane qui a des problèmes. Une nouvelle société, la Seudem, est créée pour l’importation des Guzzi et des Benelli. Entre temps, situation extraordinaire, Charles Krajka reçoit ses motos neuves directement de l’usine avec l’accord de Motobécane et réalise pas moins du tiers des immatriculations de Moto Guzzi en France ! Et ne parlons pas des expéditions de pièces à d’autres motocistes et aux particuliers, une activité que les Krajka ont toujours privilégiée. En résumé, la place est quasiment vide, les Krajka l’occupent. Parfois, ça renâcle un peu côté prix, mais les Guzzistes ne s’en plaignent pas car il n’y a pratiquement jamais de rupture de stock. Côté importateur, il faudra plus tard encore une autre société, la S.I.C.E.M., pour que l’ordre revienne. Mais le phénomène Krajka durera jusqu’au début des années 90 et la fermeture du magasin de la rue de Laitières de Vincennes.

À la retraite, Charles Krajka, toujours hyperactif, va se transformer en redoutable commissaire technique, craint, mais respecté, puisque son credo est la sécurité des pilotes. Il fut même président du collège technique de la FFM. Sa contribution dans deux commissions européennes pour l’établissement des normes de sécurité des casques et l’élaboration de l’airbag moto est importante. Et à 77 ans, début 2011, on le trouve encore, par exemple, en Afrique où il est commissaire technique sur un rallye raid ! Quant à son épouse, elle s’est plongée dans la littérature tout en gardant sa gouaille légendaire, étant ainsi plus que jamais Titi (la) parisienne. 

François Gomis 

LEXIQUE 

- Certificat d’études, examen en fin de l’école primaire (1880-1980).
- Mandille et Roux 125 cm3 à moteur Ydral fabriquée par les Ets. M.R (1924 -1956) société parisienne spécialisée dans les petites motos.
- À l’époque, Moto Bastille était 6 boulevard Richard Lenoir dans le onzième arrondissement parisien, à deux pas de la place du même nom. Aujourd’hui à cette adresse, il y a le magasin d’exposition des cuisines et poêles de la marque Godin. Moto Bastille existe toujours (concessionnaire Honda, boulevard Beaumarchais, non loin de la place).
- Moto Bastille n’était pas concessionnaire Triumph, marque représentée sur ce secteur par Dufour (rue Saint-Maur).
- Arpette ou arpète : apprenti(e). Vient de l’allemand arbeiter/travailleur. Normalement arpette est du genre féminin. Même pour un garçon, on devrait dire « une arpette ». Et oui ! Mais on ne le fait pas…
- L’ancien franc est remplacé par le nouveau franc le 1er janvier 1960, 5 000 F devenant 50 F. Antoine Pinay était ministre des Finances (gvts Ch. de Gaulle puis M. Debré).
- Les Moto Guzzi (marque fondée par un ancien aviateur italien de la guerre de 1914/1918) avaient alors des noms d’oiseaux (sans jeu de mots). Le sigle de la marque est d’ailleurs un aigle. Exemples. Airone : héron. Falcone : faucon. Galetto : petit coq. Lodola : alouette. Stornello : étourneau. Zigolo : moineau.
- Airone 250 : mono cylindre à plat avec volant extérieur (volant allégé ou plus lourd changeant le caractère du moteur), fourche inversée avec réglage interne de la friction, suspension arrière oscillante (généralement coulissante) avec réglage en compression et en détente freinée par des compas, pompe à huile extérieure graissant également la boîte de vitesses par pression (généralement par barbotage)… - Dans les immeubles, hormis aux étages « nobles » (les premiers), les toilettes étaient sur le palier et communes pour tous les logements d’un même étage « populaire ». - Châtillon est une commune des Hauts de Seine, mitoyenne de Paris. Le Moto-Club Châtillonais existe toujours (mais son siège est à Nanterre 92).
- L’âge de la majorité légale passe de 21 à 18 ans le 5 juillet 1974.
- Le service national, ou service militaire, est suspendu le 22 février 1996. L’armée est professionnalisée à cette date.
- Les établissements Rieutord étaient « rayonneurs » de roue, 40 rue Sedaine (75011). Ils montaient beaucoup de jantes aluminium de la marque espagnole Akront (avec un T à la fin, merci Eric Fontaine) plus légères que les jantes acier très souvent en première monte.
- Side-cars Bernardet, fabriqués à Bourg-la-Reine (92) puis à Chatillon-sous-Bagneux (92), du début des années 20 à fin des années 40.
- Clément Garreau était importateur Norton, rue Robert Lindet 75015.
- Avant 1965, Moto Guzzi était importé par les Ets. Maury, place d’Estienne d’Orves (75019) puis à Louviers (27).
- UTAC ou Union Technique de l’Automobile du motocyle et du Cycle.
 



« Quand le monde s’est arrêté », c’est ainsi que Charles Krajka parle de ce week-end du 16 mars 1980 au Mans. Frédéric Krajka a trouvé la mort aux essais des side-cars. 
Pilote de Promosport 125 (2é à Karland), il officiait pour la première fois comme passager de son père. Charles Krajka a été gravement blessé lors de l’accident.
 

Moto Guzzi, André et Robert Teston.

A Marseille, Cours Lieutaud, il y avait dès 1929 un magasin de vélo créé par Cyprien Teston. Son fils, Félix, lui succède. Félix Teston a été auparavant un coureur cycliste professionnel renommé, gagnant entre autres six fois le Grand Prix de Marseille. Au milieu des années 60, Madame Félix Teston se rend au salon de Milan, grand rendez-vous européen du deux roues (vélo et moto). Madame Teston en profite pour regarder les cyclomoteurs pour l’un de ses fils, passe sur le stand Moto Guzzi et discute avec le directeur commercial de la firme italienne qui, soit dit en passant, n’a plus d’importateur pour la France… Vous avez compris, la famille Teston devient importateur Moto Guzzi. Nous sommes en 1965. Deux ans après, un pilote de ligne français, passionné de moto, ramène une Moto Guzzi V7 (700cm3) à Paris alors qu’elle n’est pas encore commercialisée en France. Un motard la voit et en commande une à Charles Krajka. Ce dernier appelle les Teston. Problème, la machine n’est pas passée aux service des Mines. Cette homologation se fait à l’U.T.A.C. à Montlhéry. Les marseillais proposent donc à Krajka de s’en occuper puisqu’il est à Paris. Affaire est faite et une V7 est livrée rue Saint-Maur. L’usine Moto Guzzi envoie son directeur du service recherche et développement et son directeur commercial travailler avec Krajka. Après quelques modifications pour la mise en conformité de la machine, la V7 passe aux Mines avec succès. L’histoire du bicylindre en V italien est en marche.
  L’importation Moto Guzzi est « récupérée » en 1972 par Motobécane. André et Robert Teston continuent de distribuer les pièces détachées Guzzi au moins jusqu’en 1975. Les deux frères deviennent cette année là importateurs des casques Nava. En 1986, André et Robert Teston créent leur propre marque de casques, Shark, avec le succès que l’on sait.

Anecdotes 

- En 1969, Charles Krajka propose à Moto Guzzi de participer avec des V7 Spécial préparées au Bol d’Or qui renaît. La firme accepte. Charles descend donc à l’usine prendre deux motos, l’une pour son complice Claude Douniaux et lui, l’autre engagée par le motociste Jean Murit qui sera pilotée par Gérard Jumeaux et Jacques Insermini. Mais à Mandello del Lario, ils avaient confondu endurance sur circuit et endurance sur route type « 1 000 Miles » comme il y en a en Italie. Les motos préparées par l’usine avaient donc des grands guidons, une grosse caisse à outils, des pneus route, etc. Avec un mécano du service course Guzzi, Krajka monte en vitesse des ensembles carénage/réservoir/selle de Linto pris chez Tonti à Varese, des mégaphones (tromblons) et des commandes reculées. Insermini et Jumeaux ont abandonné, Krajka et Douniaux ont terminé.
- En 1970, Krajka fait le Bol avec Raimondo Riva sur une Guzzi plus élaborée. Ils terminent 5è.
- 1971 au Mans. 100 000 spectateurs. Les premières V7 Sport sont au départ.
- Charles Krajka prenait ses pièces BSA, Matchless et Norton chez Wassel, un grossiste de Birmingham (Angleterre). Charles y découvre les premiers Dunlop K 81 et en ramène. Dunlop France ne connaissait pas encore ce pneu qui deviendra légendaire. C’est Krajka qui en montre un pour la première fois à son représentant Dunlop.
  - Charles Krajka se souvient avoir monté les premières Honda neuves quand il était mécanicien chez un motociste parisien, en 1958 croit-il. Pour Charles, ensuite, la première Honda CB 250 était dérivée de l’Horex Imperator et les premières Suzuki étaient des copies d’Adler.

 


François Gomis

 
L’auteur de ces lignes, lorsqu’il était un sémillant étudiant aux Beaux Arts de Paris tout juste âgé de 19/20 ans, travaillait à mi-temps chez les Krajka comme maganisien-livreur, rue Saint-Maur à Paris puis rue des Laitières à Vincennes. L’heureux possesseur d’une V7, d’une V7 Spécial puis d’une V7 Sport, c’est moi, garde le souvenir de patrons gros bosseurs et attentifs, et d’une fine équipe de mécaniciens assez farceurs et adeptes du bizutage. Ces joyeux lurons m’ont ainsi demandé à mes débuts d’aller chercher chez le grossiste de la peinture écossaise, de la toile émeri qui ne raye pas, un marteau à débosser les bulles de carénage, un tournevis coudé, sans oublier la fameuse pompe « Moil quelque chose ». Vous avez le choix pour le « quelque chose ».

Il suffisait de revenir en leur disant que ce n’était pas disponible pour qu’ils soient heureux…
Qu’ils soient dénoncés. Ces gens simples sont les suivants. Christian Chaplain est depuis longtemps, avec son fils maintenant, un incontournable soudeur et façonneur pour tout ce qui est compétition moto dans la région de Chartres. Jean-Luc Dumont est concessionnaire Honda. Gilbert Tissier est caché quelque part en France pour entretenir et réparer les plus belles voitures du monde des années 50 à 70. L’arpette, Daniel Goutal, surnommé gentiment « nez de bœuf » par les tristes personnages cités plus haut, est motociste Guzzi dans le 94. Pas de nouvelle par contre de l’indescriptible Gugus, à la fois mécano et clown, lui aussi un sacré personnage.

J’oubliais. Au moment de quitter le boulot pendant un temps, il m’a fallu systématiquement remettre les capuchons de bougie, vérifier que la moto était bien au point mort, que les cocottes étaient toujours serrées, que les Durits d’essence étaient toujours en place, qu’il n’y avait pas une patate dans l’un des pots, sans oublier d’enlever une chaine antivol dont la clé est cachée dans l’atelier, de nettoyer la selle enduite de substances diverses et variées, éventuellement de regonfler un ou deux pneus, le tout étant bien sûr possible que si on a la clé de sa moto. Sauf qu’elle été piquée dans la poche de votre blouson au vestiaire et jetée au fond de la poubelle la plus remplie et la plus sale dans la cour de l’immeuble. Le tout bien évidemment un jour d’hiver, la nuit étant tombée, et par des températures négatives. C’est plus drôle.
 Travailler dans une telle ambiance forge le caractère. 

Anecdotes.

 
- Charles Krajka allait souvent prendre pièces et accessoires près de l’usine Moto Guzzi, sur les bords du lac de Côme. Il louait une Estafette Renault et hop. On roulait à deux à 80 km/h à l’aller, et à 50/60 en pleine colère au retour avec la camionnette « cul par terre ». Ne parlons pas des freins. On passait par le col du Petit Saint-Bernard. Bien que le tunnel du Mont-Blanc existe déjà (ouvert en1965), ce n’était en aucun cas pour des raisons financières que l’on passait par le col. C’était simplement plus joli. Le rédacteur de ces lignes peut vous dire que c’était quelque chose… Surtout dans la montagne, en première, à 10 km/h, en descente comme en montée. Une précision : on dormait dans l’Estafougnette ! Pour se laver ? Et le lac de Côme, c’est pour les chiens !
- Au magasin, il arrivait qu’un client demande une pince pour resserrer quelque chose sur sa Guzzi (collerette d’échappement par exemple). Les Krajka l’envoyaient donc à l’atelier. Les mécanos lui passaient alors une pince bécro usée. Vous connaissez sûrement, celle qui vous bousille les doigts avec un claquement sec quand on l’utilise. Nous l’appelions d’ailleurs la pince à client. Il suffisait alors d’attendre quelques secondes pour entendre un juron. L’hiver, lorsque les doigts sont gourds, cela fait plus mal et c’était deux voire trois jurons. Quand le client rapportait la pince, il regardait les mécanos d’un drôle d’air. Les mécanos, eux, attendaient que le client soit parti pour se marrer. Cruel.
- Paris rue Saint-Maur 75011. Krajka monte un frein Luchier sur la roue avant d’une Guzzi. Ce frein vient d’être fabriqué par son inventeur, qui porte le même nom que son frein. L’efficacité n’étant pas encore optimum sur ce qui n’était qu’un prototype, lors de l’essai, le passage du carrefour de l’avenue de la République et de l’avenue Parmentier fut magnifique. Tout shuss comme on dit en ski. Le skieur, c’était moi.
- Les livraisons se faisaient au moyen d’un vieux side-car BSA A 10. Votre serviteur passait d’ailleurs son temps la roue du side levée. Pour les dépannages, que je faisais tout seul, l’ensemble BSA et Guzzi en panne dans le panier était à la limite du conduisible. On se souviendra particulièrement d’un retour, sous la pluie, d’Orly à la rue Saint-Maur via l’autoroute du sud avec une Guzzi 850 GT de 240 kilos vautrée dans le side et un 38 tonnes collé aux fesses. Grand moment.


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