Décès de Frédéric Tran-Duc, auteur de La carte postale d’un bout du monde.
Fred est parti pour un dernier voyage, le 20 juillet 2011 à l'hôpital d'Hanoï.
Fred Tran Duc a rejoint l’astéroïde B612 pour toujours !
« On s’emmerde ici ! » ces trois mots qui résument de la manière la plus laconique qui soit l’ennui de se trouver immobile dans un lit d’hôpital, Frédéric Tran Duc les prononcera une heure avant de rejoindre enfin le (vrai) Petit Prince et son astéroïde immatriculé B612…
Fred, c’était les Mauvaises Langues, mais surtout la Carte Postale d’un Bout du Monde, une saga parfois interrompue par des retours à la terre natale, qui fera rêver des générations de motardes et de motards.
On dit parfois qu’untel s’était retrouvé ministre ou garde-champêtre par le plus pur des hasards, mais foin de hasard pour Fred, il était écrit que celui qui désolait les profs d’histoire-géo, maths, physique ou autre activité par son désintérêt pour ces matières rébarbatives, voire, pour lui, subsidiaires, serait plumitif et de talent, de surcroit.
Un jour, rendant un contrôle de géographie, le prof annonça : « je vais vous lire ce qu’a écrit Monsieur Tran Duc » : « cher monsieur le professeur, excusez moi de ne pas reproduire ici la carte que vous me demandez, mais je dessine comme un pied et ne puis décemment me déchausser en classe ! » Cette anecdote qui situe l’humour de Fred, un humour dont il se départira pas jusqu’aux ultimes instants de sa courte vie, nous a été relatée par Harald Ludwig, un camarade de classe de Fred au lycée d’Enghien qui deviendra plus tard chef de studio à Moto Journal…
Après avoir été prié d’aller voir ailleurs par quelques proviseurs de lycées cacochymes, malgré les concerts de protestations de la plupart des profs de Français que Fred avait eu la bonté d’écouter avec attention et qui avaient décelé en lui un réel talent, Fred décide très tôt d’en rester la avec les études et de voler de ses propres ailes en décrochant un boulot de magasinier chez l’importateur Yamaha à Levallois.
La course en survèt’…
Fred avait déjà été piqué sans espoir ni souhait de guérison par le démon cornu de la motocyclette et surtout du sport moto, effectuant quelques prestations sans grand éclat en National, équipé d’un survêtement noir du plus bel effet et de bottes de pompier, au guidon de son Aermacchi Ala Verde offerte pour ses 16 ans par un père qui rêvait pourtant davantage pour lui d’une moto de curé, dixit Fred, en l’occurrence une R51/3 des Domaines retapée par Alazard, avenue de Clichy. Mais Fred, avec astuce, avait sournoisement argumenté que la petite 250 ritale roulait certainement moins vite que la béhème avec son flat 500…ce qui était à peine faux mais pas tout à fait vrai.
Installé dans le sous sol de Sonauto entre ses casiers de pièces détachées, Fred rencontre des noms connus de l’époque, courant pour la marque aux trois diapasons :Lhérault, Ravel, Latouche, Auréal et il fait l’acquisition à bon prix d’une 250 Yam YDS6 afin de se couvrir de gloire à son tour, mais en Formule Sport, l’ancêtre des Promos. C’est ainsi que la Yam, glissée avec peine dans la 2CV AZU fournie et pilotée par son frère (Fred ne possédera jamais le permis auto en France…) rejoindra à la vitesse de la cagouille paralytique (plus de 20 heures pour se rendre à Pau) les différents circuits du championnat, participera au Bol d’Or du renouveau en 1969 avant de cesser toute activité dans son état originel, après que Fred eut vu ses efforts réduits à néant à l’arrivée de la course des 250 des Critériums du MCF 1969 à Montlhéry, où il sera privé de sa première place suite à une réclamation déposée par un vil séide de l’importateur Ossa…
Ulcéré, Fred décide alors de confier à Pierre-Louis Tebec la construction de la Fred-Yam, une machine composée d’un cadre de Bultaco TSS et du moteur de la vaillante YDS6, affublé de pots et de pistons de TD2, afin de concourir en National. « Au moins là, personne ne me fera chier pour deux bouts de tube de trop, soulignera Fred… »
Mais face aux TD2, TD3 et A1R de l’époque, Fred et sa Yam ne font pas le poids et déçu, il décide alors de mettre un terme qu’il pense définitif à sa carrière de pilote.
Entré à la FFM pour aider le Directeur des Sports, Paul Spérat-Czar, à la rédaction et à la fabrication de l’austère revue fédérale France Moto, Fred se sent rapidement des fourmis dans les pieds rue d’Hauteville et dès le début des années 70, il se trouve associé, avec Jacques Bussillet, Gilles Mallet, Micou Montange et surtout Guido Bettiol, le pittoresque rédac’chef et Pierre Barret, le boss, homme génial et charismatique lui aussi trop tôt disparu, dans l’aventure de Moto Journal, un hebdo réalisé dans un deux pièces-cuisine de la Rue de la Tombe Issoire. En 1974, Fred crée les Mauvaises Langues de Khomer Tran Duc, une page de ragots, foutages de gueule, et autres commérages (souvent pour initiés), alimentée par quelques informateurs occultes et bien inspirés dont le jeune H.R, pilote monégasque de talent mais fourbe, à ce qu’il parait…
Et en 1978, jaillit une idée loufoque parmi tant d’autres (comme les essais marche ou crève) dans la tête du Frédo, lassé de la vie sédentaire d’essayeur-gratteur d’articles en détail, gros et demi-gros : faire le tour du monde à moto, mais non pas au guidon d’un flat bavarois ou tout autre engin de n’importe quel quidam sans imagination, mais d’une mini moto, un GT80, alias Miniyam.
Bien entendu, ce choix technique fait s’esclaffer grassement la plupart des membres de la rédaction, mais il s’avère finalement judicieux. Le Miniyam ne laissera jamais Fred en carafe, même abreuvé jusqu’à plus soif des carburants et des lubrifiants les plus pourris de la terre et l’aspect comique d’un adulte sur sa moto de nain déclenchera la sympathie et permettra souvent à Fred de venir à bout de certains obstacles administratifs style passage de frontière, un moment toujours délicat pour Fred…en particulier au Proche Orient, que Fred sillonnera de la Syrie à l’Irak, en passant par la Jordanie, le Pakistan et autres contrées où il fera figure d’extra-terrestre.
Le périple accompli par Fred et la Puce (nom attribué à son GT80 bleu) pourrait remplir des volumes entiers, tant les pérégrinations du globe-trotteur/journaliste, relatées chaque semaine (tout du moins quand les aléas des PTT ou une période de flemme traversée de manière imprévisible par Fred le permettront) dans Moto Journal seront émaillées d’épisodes souvent cocasses, parfois dramatiques, comme ce triste jour de l’an 1992 quand Fred se fera agresser par un mexicain qui lui cassera le nez afin de lui dérober son maigre pécule.
Fred sera, sans ordre chronologique, prof d’anglais-français-italien dans une école privée, homme de ménage/serveur dans une trattoria au Japon, plongeur, emballeur de caoutchouc, ambulancier/chauffeur de corbillard bénévole au Mexique avec son camion Grosbébé, assistant crêpier de Mimi (dite la Crêpe), une française rencontrée au Saturday Market en Oregon mais c’est à Katmandou que la première partie de sa vie (Fred a eu comme chacun sait, plusieurs vies) basculera, avec la rencontre du Petit Prince, un gamin de huit ans affligé d’une dysenterie amibienne et d’une espérance de vie très limitée que ses parents, baba cool déjantés et irresponsables lui laisseront sur les bras avec pour seul viatique un passeport en règle…
Oh, Calcutta !
Toujours prêt a aller derrière les idées reçues, sans préjugé ni retenue, Fred passe de longs mois en Inde, un pays où la notion de choc des civilisations est tangible à tous les coins de rue, entre résidences pour touristes à fric et meublés cradingues de Jochen Tole. Touriste aux yeux des indiens, dont forcement riche, lui qui dépense en France, en faisant le plein du Miniyam (moins de 5 litres) et de sa nourrice en plastoc achetée sur l’autoroute, l’équivalent d’une semaine de salaire d’un ouvrier agricole indien, il subit avec colère les tracas de la bureaucratie locale, dans un pays où celui qui peut arborer deux galons s’ingénie à faire ch… celui qui semble ou plus riche ou plus pauvre que lui.
Bref Fred n’aimera pas l’Inde et c’est avec soulagement qu’il débarquera, avec petit Prince et la Puce, au Japon, le 22ème pays dans lequel il trainera ses guêtres. Autre contrée, autre choc des civilisations pour Fred qui débute une prometteuse carrière de garçon de café dans un restaurant du Pigalle tokyoïte pour embrayer sur une non moins brillante carrière de professeur de langues dans une des nombreuses écoles privées qui tentent de permettre aux japs de rompre avec leur isolement, eux dont les profs n’ont jamais mis les pieds dans un pays anglophone et dont le niveau linguistique équivaut à celui d’un lycéen français de troisième…
Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin et faute d’avoir pu obtenir un nouveau renouvellement de son visa, il doit, à regret, quitter un pays qu’il a appris à apprécier.
La période américaine
Après un bref retour en France, une nouvelle Carte Postale dans les pays de l’Est avec une 125 Yam TDR, Fred trainera ses bottes aux USA durant plusieurs années (avec en guise de stage d’adaptation 25 jours de prison à Volusia, Floride, pour avoir refusé de payer la caution suite à une interpellation par les pigs locaux au volant de son camion après une soirée un tantinet arrosée…) Pour la petite histoire, il parviendra, malgré la surveillance des matons ricains, à faire passer ses textes à Moto Journal avec la complicité de Mimi la Crêpe qui glissera les six pages de copie pissées en cellule aux journalistes de MJ venus couvrir la Bike Week de Daytona… Oui, Fred conduit, lui qui n’a jamais passé son permis auto en France, mais aussi vit et dors dans un gros Ford Econoline fatigué où il transporte d’abord une 175 Bridgestone, connue sous le doux nom de Brigitte puis une 175 Bultaco (Tacotte) avec laquelle il décroche un titre improbable de champion des USA en Vintage Pre-66 WERA, sorte d’AFAMAC à la mode Yankee, mais très nettement moins rapide...
Il relate ainsi durant des années sa vie de pilote moto fauché, les copains américains, le plaisir de retrouver la course et de voir du pays. Pauvre dans un pays de riche, Fred est heureux et il s’incruste assez : près de sept ans chez l’Oncle Sam, un record pour Fred qui squatte le terrain d’un Québécois adorable avec son Ford.
Et puis la bougeotte, le mal du pays, une certaine lassitude des ricains, peut-être…Fred embarque Grosbébé, Tacotte et Grenouille, une 125 Cagiva prêtée par Marcel Seurat, sur un cargo mixte, direction la France.
Il tape d’abord l’incruste chez son frangin Patrick puis chez sa mère à Troo, dans le Loir et Cher… Jusqu’à ce qu’à nouveau, l’appel du large…
Le dernier voyage
On aurait pu le croire rentré dans le rang, payant ses impôts et ne se mouchant plus dans les rideaux, mais chez Fred, une période de calme est immédiatement suivie par une période d’agitation et c’est à nouveau le départ, pour une autre saga de la Carte Postale. L’ambiance qui règne désormais à Moto Journal où tout excès de comportement ou de langage dont Frédo est parfois coutumier ne semble désormais plus de mise n’a pas l’heur de lui plaire et il n’a plus qu’une idée, à nouveau tailler la route.
Cette fois, la moto est une Zongshen chinoise confiée par l’importateur, Pierre Laurent-Chauvet. Fred se faufile en Chine avec la 125, avant de passer la frontière vietnamienne, pays dont son père est originaire (et qu’il a quitté en 1925…) La magie de ce pays attachant opère et Fred décide, à la surprise générale, de poser enfin et définitivement, ses valises. Bien entendu, le clash est consommé avec Moto Journal qui n’a que faire d’une chronique, même à la Fred, du Vietnam et le globe-trotteur sédentaire qu’est devenu Fred n’intéresse plus. Mais qu’importe, Fred a pris sa décision, c’est là, enfin, qu’il veut être. Mais un an à peine après son installation dans une bicoque de 16 m2 dont il croit être le propriétaire, coincée au fond d’une ruelle tortueuse et passablement cradingue de Hoan Kiem, dans le quartier du vieil Hanoï, au bord du Fleuve Rouge, Fred tombe malade et le 20 juillet 2011, le mal insidieux qui le ronge –le même que celui qui emporta Barry Sheene, autre grand fumeur-a raison de lui. Fred a rejoint l’astéroïde B612, son numéro de course pour l’éternité.
« La mort n’est rien, je suis seulement passé dans la pièce à côté. Ne prends pas un air solennel et triste. Continue à rire de ce qui nous faisait vivre ensemble. Le fil n’est pas coupé. Pourquoi serais-je hors de ta pensée parce que je suis hors de ta vue ? Je t’attends. Je ne suis pas loin. Juste de l’autre côté du chemin. »