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Jarno Saarinen

né le , à Turku (Finlande) et décédé le à Monza (Italie)   


Jean Huppert. modérateur du forum Benelli, nous a permis de publier ici son hommage à Jarno qui a été très apprécié par Soili 

En fait, ça me trotte depuis longtemps dans la tête, mais des circonstances récentes ont servi de déclencheur : je me dois de raconter l'histoire de celui qui pour moi est le plus grand pilote moto de tous les temps : Jarno Saarinen. On est à une dizaine de jours du quarantième anniversaire de sa mort le 20 mai 73 à Monza et je voudrais faire comprendre aux jeunes générations comment un pilote qui n'a qu'un titre mondial (250 en 1972) et 2 ans de carrière à un haut niveau a pu laisser une empreinte si indélébile que tout le monde s'accorde à dire qu'il y a dans le sport moto un avant et un après Jarno Saarinen. Mes amis du BFF qui sont venus chez moi ont eu droit chaque fois à l'évocation et aux louanges envers celui qui pour moi était le héros de mes 18 ans. Je rappelle le contexte sportif de cette fin des années 60 en GP : suite à un changement de règlement, les japonais se retirent officiellement des GP en 68, c'en est fini des Honda 5 (125) et 6 (250/350), des Yamaha 4, des multicylindres 50 à 17 vitesses ... Hailwood s'est retiré, et un pilote et une marque règnent sur les 350/500 : Giacomo Agostini et sa MV, il gagne tout, avec 1 tour d'avance sur le second, qui est un privé en Paton, Linto, Kawa H1R, NortonManx ... c'est la période du film Continental Circus.Il accumule 15 titres ... il est invincible, il ne tombe jamais ... c'est un demi Dieu ... Et puis, arrive la saison 72, un jeune finlandais qui a déjà fait de façon presque discrète la saison 71, se voir confier par Yamaha des 250 et 350 officielles aux couleurs Arwidson l'importateur finlandais, jusqu' à la mi-saison il fait podium, mais pas mieux, et puis un déclic se produit, quelque chose se passe, mais alors et pendant quelques mois trop courts il gagne TOUT ! En 250 il finit titré, mais en 350 il parvient à faire mettre un genou en terre à Ago en le battant déjà en France à Charade, c'est un évènement majeur dans le microcosme des GP : Ago n'est plus invincible, le petit twin 2 temps a battu le 4 cylindres 4 temps prestigieux.

Jarno enchaine les succès en GP, et comme en ce temps là la saison finissait tôt, il y avait plein de courses d'après saison, avec un niveau très relevé, les américains viennent en Angleterre, et là Jarno gagne en 250/350/750 les courses de Silverstone, Scarborough et Mallory Park ... tout le monde est ébahi par la vitesse de Jarno et de ses Yamaha 250/350 face aux gros cubes. C'est à ce moment qu'il reçoit une proposition de Benelli de faire des courses avec la 500/4 sur la côte adriatique ce qui permet à Benelli de se confronter à MV puisqu' Ago y est. Mais cette Benelli 4 sort juste, elle n'a jamais couru sous cette version, on peut douter de sa puissance comme de sa fiabilité face aux MV éprouvées ... Jarno accepte, même s'il sait qu'en fait Yamaha revient en 500 pour 73 et prépare une arme secrète : une 500/4 2 temps, et qu'il a quasi déjà signé avec Yamaha pour la saison suivante. Mais bon il accepte cette pige pour Benelli, qui vient de changer de mains, et l'industriel DeTomaso, nouveau propriétaire, veut rajeunir l'image de la marque en copiant les japonais, et il change aussi le look des Benelli officielles qui ont toujours été verte et argent. A Pesaro on découvre une Benelli 500/4 au design moderne très harmonieux, et que croyez vous qu'il arriva ? Jarno gagne toutes les courses auxquelles il participe avec la Benelli et bat Ago ... Il n'avait jamais piloté en course de 4 temps, ni de 500, la moto était raide de neuve et Ago est battu ... C'est incroyable ! et ça reste à ce jour la dernière victoire d'une Benelli en course !! et la raison majeure de ma passion pour cette marque. 

Il part ensuite fin 72 au Japon essayer les proto Yamaha 500 4 cylindres, il en profite pour faire les pub où il est sur une RD250/350 ... moto que forcément je vais acheter en 74, puisque c'est celle de Jarno ...  

Puis vient la saison 73, les GP commencent en Avril et avant il y a les grandes courses inter des 750 à Daytona et Imola, 200 miles, courses hyper-prestigieuses, surtout Daytona car tout le continent US a les yeux rivés sur cette course et que le marché US représente 80% des ventes de motos dans le monde. Le succès de Dick Mann sur Honda 750 en 70 a été très important pour le lancement de la Honda Four aux USA par exemple. Et là en 73, Suzuki comme Kawasaki et Harley veulent gagner Daytona et ils ont les grosses 750 pour y parvenir et une armada de très bons pilotes. Yamaha n'a que sa 350 qui devrait faire pâle figure sur l'anneau, mais Yamaha a un joker ... il s'appelle Jarno Saarinen et il gagne avec sa 350 la course la plus prestigieuse du monde, les grosses 750 ayant toutes chuté ou cassé. Par contre à Imola quelques semaines plus tard, avec les même adversaires, c'est à la régulière que Jarno gagne ... en 350 devant toutes les 750 ! L'Histoire est en marche. 

Les GP commencent en avril avec le GP de France sur le tout nouveau circuit Paul Ricard, Yamaha revient officiellement en 500, et Jarno va faire son premier GP en 500, se confronter enfin avec la MV d'Ago dans la catégorie reine. Jarno a la pole, mais de peu, et en fait aux essais chacun s'est observé sans se lâcher vraiment. En première ligne : les 2 Yam (Saarinen, Kanaya), les 2 MV (Ago, Read), l'ambiance est électrique ... à l'époque les départs sont donnés moteurs éteints, à la poussette, et quand les premiers bouclent le premier tour ils ont déjà battu de plusieurs secondes le temps des essais ! et on assiste à une des courses les plus mythiques de l'histoire des GP, Jarno et Ago seuls devant, Read et Kanaya derrière, 2 duels homériques, les motos se valent, à peine si la Yam accélère un peu mieux que la MV ... Jarno se détache insensiblement, Ago s'accroche, veut recoller, pousse sa MV à la la limite et ... chute au freinage de la verrerie ... une chute d'Ago sous la pression de Jarno ... le Dieu est terrassé. Ensuite c'est le GP d'Autriche sous la pluie à Salzburg entre les rails ... où en 250 il finit avec plus de 20" d'avance sur Kanaya son équipier chez Yam ! bluffant Il voulait montrer à ses employeurs qu'il n'y avait pas photo entre Kanaya et lui pour au cas où les patrons japonais de Yamaha aurait souhaité Kanaya champion 250 et lui en 500 Il y avait des précédents de ce type chez Yamaha et Jarno venait de subir de telles pressions ! Il gagne aussi en 500. Puis le GP d'Allemagne ou un bris de chaine en 500 le prive du doublé 250/500. Puis vient Monza, on est sur les terres italiennes, c'est important d'y gagner, mais hélas une course des 350 a lieu juste avant (il s'y était inscrit mais les organisateurs disent ne pas avoir reçu son inscription !), Walter Villa et sa Benelli 350/4 qui perd de l'huile, plusieurs tours de suite, qui s'arrête à son stand, d'où on le fait repartir pour finir la course (il faut marquer des points !) ... Johnny Dodds qui a fait la course des 350 et sait que ça glisse parcourt la grille des 250 et le dit à tous les pilotes ... pense t'il. 2 km après le départ Pasolini qui est 2 derrière Dieter Braun chute, sa moto part dans le rail, rebondit, et fauche Jarno qui est mortellement atteint ... Paso se relève et est heurté par Chas Mortimer, il meurt aussi ... 13 motos à terre, des réservoirs en feu ... c'est l'horreur absolue. Un silence de mort sur le circuit, les ambulances, la panique ... C'est la fin du film, tout le monde pleure. On a tous perdu notre rêve et nos illusions, la vie ne sera plus jamais pareil, on entre dans la vraie vie, ses peines, ses injustices et ses douleurs ... Je l'apprends au journal télévisé du soir, non, ce n'est pas possible, pas lui ... pourtant la course moto était cruelle dans ces années là, on avait déjà perdu Appietto et Ravel, Bill Ivy, Santiago Herrero, Gilberto Parlotti peu avant, on perdra plus tard Pons, Rougerie, Chevallier, Léon, la mort rodait, mais Jarno Saarinen, l'invincible, celui qui ne tombait jamais, au sommet de son art et de sa gloire, ce n'était pas possible ... Je me souviens j'étais en Terminale au lycée, à un mois du baccalauréat, et le lundi matin on était 3 à pleurer en classe, le prof nous interroge : que se passe t'il ? "Saarinen est mort" lui dit-on ... il a fallu lui expliquer ! Sa disparition est un choc immense, un traumatisme pour toute une génération, dans les 2 ans qui suivent beaucoup de parents baptisent leurs nouveau-nés Jarno (Jarno Trulli en est l'exemple le plus connu) voir Soeli si c'est une fille ... L'expertise de la moto de Pasolini dira plus tard qu'elle a serré ... mais avant ou après la chute ? peu importe. Jarno est enterré le 2 juin à Turku, on pleure tous avec Soili. 

Qui était il ? : né en 45 à Turku, ses parents avaient une entreprise de pompes funèbres, il a des frères dont les prénoms commencent tous par Ja (Jari, Jarkko, Jarno et Jarmo !), il fait des études d'ingénieur et est diplômé, ce qui est rare à cette époque dans le milieu des courses moto, il parle l'anglais, ce qui est indispensable mais méritant quand on est finlandais (le suomi est une langue non indo-européenne donc aussi difficile à apprendre que le japonais ou le turc, l'inverse est vrai pour un finlandais). Son niveau en mécanique lui permet de faire toute sa mécanique et ses réglages tout seul. Il commence la compétition par les courses sur glace ce qui aiguise son sens de l'équilibre. Il gagne sa vie dans l'intersaison 71/72 en allant travailler chez Puch en Autriche.  

Son pilotage : 2 particularités : des bracelets positionnés très verticaux comme personne ne l'a jamais fait avant ni après, et un déhanchement "avant l'heure" qui fera de lui l'inspirateur du pilotage moderne et du style dit "finlandais", même si Lansivuori et Korhonen ont un peu aussi ce style ils ne brilleront jamais comme Jarno.Bien longtemps après, on lira que Kenny Roberts senior dit que Saarinen avait inventé avant tout le monde le "back wheel steering" qui se banalisera 20 ans plus tard avec des motos 2 fois plus puissantes et des pneus 3 fois plus larges, et qui consiste à faire déraper l'arrière pour être plus vite dans l'axe de la sortie du virage. C'est même devenu quasi officiel maintenant cette idée. En fait maintenant qu'on a Youtube et que plein de gens ont posté des vidéos de l'époque, et que je me les repasse, je suis de plus en plus convaincu que c'est complètement faux, que c'est une façon de se rassurer en disant "il y a pensé avant les autres c'est tout", mais qu'en fait Jarno était doué de la perception avec une acuité extrême du sens de la trajectoire parfaite, occasionnant le moins de perte de temps, avec au contraire aucun dérapage, il suffit de regarder toutes les vidéos où on le voit : le géométrie de sa trajectoire est toujours parfaite et pure, plus courte que celle des autres pilotes. Un peu comme Jackie Stewart en F1 : peu d'impression visuelle mais au chrono c'est le meilleur. Je ne crois pas qu'il faille voir ailleurs son insolente domination de mi 72 à mai 73, outre le fait qu'il maitrisait tout sur sa moto, rien n'était laissé au hasard ni sous traité puisqu'il faisait toute sa mécanique lui-même. 

Le mythe : tel James Dean il est parti au faite de sa gloire, jeune et beau, invincible ... il avait un visage d'ange, il était simple et gentil, il était un symbole parfait et un modèle de réussite à la fois sociale, sportive et affective, une perfection à imiter ... 

Le couple : et puis y'a Soili (musique de Brel "et puis y'a Frida, qu'est belle comme un soleil ...") son épouse participe au mythe, elle se prénomme Soili mais les journalistes français décident que c'est Soeli ... c'est joli aussi Soeli ! ils se sont connus âgés de 13/16 ans à Turku, mariés en 71, elle a fait des études de comptable mais elle décide de le suivre en 71 sur les routes du Continental Circus avec leur KombiVW ils parcourent l'Europe en se partageant le volant, elle le panneaute, le chronomètre, l'aide à changer le vilebrequin dans la nuit précédent la course, porte la boite à bougies jusque sur la grille des fois que la Yam "mouille" une bougie au dernier moment ... et elle est sur le podium, toujours belle comme un soleil, radieuse, court vêtue (mode 1972 !) tellement plus attractive que les umbrella girls d'aujourd'hui qui n'ont que leur plastique, et tellement visiblement amoureuse de son Jarno .  Bien sûr on retient d'elle cette photo ou elle panneaute Jarno en bikini qui a marqué les esprits mais en fait depuis 15 jours il pleuvait et elle n'avait plus de vêtement sec à propre à mettre hormis le maillot de bain ... Il ne faut pas la réduire à cette photo, elle était partie intégrante du système Jarno Saarinen, vraiment sa moitié. Si en 72 on rêvait tous de devenir Jarno, on rêvait au moins aussi fort de trouver une Soili. Tous les films de cette période intègrent un passage sur Soili, un compliment sur sa beauté, et Moto Journal la passe pleine page après Saltzburg 73 ... du jamais vu depuis. Sur la plupart des photos statiques de Jarno, Soili est là, bien souvent illuminant de son sourire une victoire ou partageant une préoccupation. Un couple fusionnel dirait-on aujourd'hui !

En mai 73 on pleure tous aussi pour Soili, qu'on imagine inconsolable, d'autant plus qu'elle faisait partie du mythe. Elle mettra 2 ans à s'en remettre, quittera Turku ou elle est trop connue (la veuve de ...) et fera carrière comme hôtesse de l'air chez Finnair pendant 35 ans en se promettant de ne jamais se rapprocher d'un circuit de moto. Et puis, le deuil se structurant, le temps passant, les invitations étant pressantes, elle a fini par accepter de venir à quelques évènements classiques, et elle y prend goût, dont le dernier SRC où elle a donné le départ de la parade avec Ago et Spencer avec les larmes aux yeux. Elle n'était pas la seule. C'est à ce SRC que la Providence m'a fait croiser sa trajectoire (je crois aux trajectoires), j'ai eu la chance incroyable de pouvoir lui expliquer (merci Jacques Bussillet) que j'allais dans le cadre du raid Benelli de fin juillet début aout me recueillir sur la tombe de Jarno, elle n'était pas au courant de ce raid, mais très sensible à la démarche, et m'a promis de tout faire pour nous accueillir à Turku au cimetière ... 

Jean Huppert. modérateur du forum Benelli, nous a permis de publier ici son hommage à Jarno qui a été très apprécié par Soili  

http://www.benelliforumfrance.com/t3418-hommage-a-jarno-saarinen  


HOMMAGE A JARNO SAARINEN

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