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Jacques Luc

Photos Bernard Chevrot, Alain Rouge et Jacques Luc

Né le 21 septembre à Mâcon 

Jacques Luc est l’un des plus grands pilotes d’endurance de l’Histoire de la moto. Où qu’il aille dans le monde, s’il veut dire la phrase magique « Quatre fois vainqueur des 24 Heures de Spa », toutes les portes s’ouvrent. Même un pilote de GP ou de Formule 1 capé le saluera avec respect. Mais il n’est pas sûr que Luc dise cette phrase. Il est plutôt du genre à mentionner dans la conversation qu’il a fait un peu de moto… Jacques Luc est ainsi. Et après l’avoir écouté raconter sa carrière, qui ne se résume pas qu’au mythique circuit belge, on se dit que tout cela est logique, cohérent. Deux qualificatifs semblant s’accorder avec sa personnalité. 

François Gomis 

Jacques Luc vient d’une préfecture de Bourgogne calme et sans histoire. En périphérie de Mâcon, rien dans sa famille ne le prédisposait à la moto. Par contre, les copains si ! Et, gamin, avant même les 14 ans légaux pour conduire une « Mob », avec sa bande, il récupérait des « vielles bécanes toutes pourries », les bricolait et « on allait faire les c… dans les prés » se souvient-il ! Sa première vraie moto est une Suzuki T20 de 1967. À son guidon, il va voir les Grand Prix (Italie, Allemagne, Belgique, Espagne) avec tous ses amis motards du Moto Club de Mâcon. Leurs idoles sont Read, Agostini, Hailwood, Findlay, Pasolini, Nieto… Il y avait aussi des balades rapides dans le Beaujolais voisin, toujours avec la même bande. Jacques Luc avait la plus petite moto, pourtant il était toujours devant. C’est un peu ce qui a déclenché son envie de compétition. C’est aussi avec cette moto qu’il prend régulièrement la direction de Genève (à l’époque deux petites heures de route) pour aller chez le concessionnaire Suzuki Grobb qui préparait aussi des Norton Commando. Là, il fait la connaissance de Georges Godier, qui courrait déjà. Une rencontre qui sera déterminante par la suite. En 1971, Certificat d’Aptitude Professionnelle de serrurier et service militaire en poche, Jacques Luc s’achète une 750 Honda, une K0, la toute première 4 pattes et, précise-t-il, « avec carters moteur un peu rugueux et les câbles de carbu fins. Ensuite, ils ont été plus gros puis remplacés par un palonnier. Et j’avais des pots que l’on appelait américains ». Il prend alors sa licence et s’inscrit en Critérium 750. À Charade, dès le mois de mai, il gagne ! Bon début… Non loin de Mâcon, il y a Pont-de-Vaux (dans l’Ain, environ 2 000 Pontevallois) fief des Maingret, déjà une grande famille de la moto. Sans être « pays », ils sont voisins et font connaissance. Christian Maingret lui apprend que sur le tout nouveau circuit du Castellet il y a une école de pilotage qui cherchait des stagiaires. Cette école, "Honda Antar Circuit Paul Ricard", est dirigée par le pilote international Georges Fougeray. Jacques s’y inscrit pour le mois d’août (pendant ses vacances) et est retenu avec 5 autres élèves pour la phase finale qui a lieu au mois de novembre. Il gagne la finale et se retrouve pour la saison 1972 avec une 750 Honda aux couleurs du circuit, un budget de fonctionnement, un mécanicien, le tout pour le Critérium, et en plus un guidon chez Honda France en endurance National sur des machines dérivées de la fameuse Honda Daytona ! On ne peut rêver mieux pour un début de carrière.

 Début 1972, Jacques arrive à allier le travail et la course, son employeur acceptant de lui donner son samedi matin. Mais au même moment, Georges Fougeray quitte l’École Paul Ricard. L’École propose alors à son lauréat de reprendre le poste de moniteur désormais vacant. Et Jacques d’ajouter : « Je suis arrivé au circuit et je n’en suis jamais reparti ». Incroyable mais vrai ! 

De bons résultats Toujours en 1972, il y avait donc un championnat français d’Endurance Inter. Jacques le gagne juste devant Fougeray avec lequel il a fait la saison sauf la dernière course où il fait équipe avec Gougy en terminant 10e sur une Honda du concessionnaire de Nantes SDVL (Fougeray a cassé dans cette course). Voilà comment Jacques Luc découvre l’endurance et s’affirme comme un pilote d’avenir.

1973 sera une année « creuse » en endurance. Par contre, Jacques est troisième au Championnat de France 500 National sur une Kawasaki H1R à coque Offenstadt. Il se rappelle qu’il se bagarrait avec Christian Léon et Jean-François Baldé qui pilotaient des H1R préparées par Guignabodet (concessionnaire Kawasaki de Toulon dans le Var). Jacques fait également le Bol d’Or avec Éric Offenstadt sur une Kawasaki 900 préparée par la Moraco des frères Maingret. Ils terminent cinquième d’un Bol remporté par Gérard Debrock et Thierry Tchernine sur Japauto. Jacques dit de cette saison : « J’ai appris mon métier de pilote. J’ai mesuré aussi très vite que, grâce à l’école de pilotage, j’avais gagné un temps fou par rapport à d’autres. Ça m’a permis de progresser plus rapidement et m’a ouvert des portes. À noter qu’aujourd’hui, c’est encore plus vrai ». Jacques est plus satisfait de la saison 1974 avec une TZ 350 ex-Bourgeois préparée par les mêmes frères Maingret. Il fait tout lui-même, y compris sa mécanique, à côté de son travail au circuit. Cela ne l’empêche pas de se faire encore remarquer. Et c’est BMW, qui vient de sortir la 90 S, qui le prend en endurance pour faire équipe avec Hubert Rigal. Le contact entre BMW et Jacques Luc est facile puisque le « boss » de l’époque chez BMW avait travaillé chez Honda et donc connu Jacques à cette fameuse finale de l’école du Ricard. La moto vient de Munich et « a beaucoup de couple et se pilotait bien sur le mouillé » se souvient-il. À noter qu’Hubert et Jacques ont failli gagner le Bol d’Or, la BMW serrant à deux heures du drapeau à damiers. Rageant ! 

Pour les deux années suivantes (1975/1976), on en revient à Georges Godier et Alain Genoud, champions de l’endurance avec leur fameuse Kawasaki GG. Jacques Luc fait équipe avec le savoyard Alain Vial dans l’écurie des deux maîtres de la discipline. Vous remarquerez que le contact est là encore facile puisque Jacques et Georges Godier se connaissent depuis des années, s’étant on l’a vu rencontrés chez Grobb. Fin 1975, Alain Genoud et Georges Godier arrêtent de courir.

En 1976, Luc et Vial deviennent donc équipage n° 1 chez GG, engrangeant résultats et expérience. Mais la donne a changé avec l’arrivée de la Honda d’usine. 

Un coup de fil… 

À la fin de cette saison 76, le téléphone sonne chez Jacques Luc. C’est Jean-Louis Guillou, patron du service course Honda Endurance. « Seriez-vous intéressé pour être avec Pierre Soulas le deuxième équipage Honda ? » (Jean-Claude Chemarin et Christian Léon étant le premier). Comme dit Jacques : « Il ne fallait pas manquer la marche ! Surtout que Honda France avait pour 1977 des vraies motos d’usine ». La réponse fut bien évidemment un grand OUI… L’usine fournissant motos et pièces, Honda France gérant le reste, Jacques Luc a le statut de pilote officiel Honda. Il accumule ensuite chez Honda places d’honneur et victoires avec Pierre Soulas, Hubert Rigal, Marc Fontan et le belge Jack Buyaert. En 1979 et 1980, Jacques court pour Honda Belgique via le concessionnaire Dholda (l’équivalent de Japauto chez nos amis belges), et est pilote de réserve Honda France.

Léon le plus rapide 

La politique chez Honda est claire et nette. Léon-Chemarin est l’équipage n°1. C’est évident pour tout le monde. Rien n’est pourtant marqué dans les contrats des pilotes. Jacques résume les consignes : « Notre travail était de terminer derrière eux et de les remplacer en cas de problème. Christian était le plus rapide de nous tous. C’est d’ailleurs toujours lui qui faisait les chronos pour la pôle. Christian et Jean-Claude se retrouvaient donc, de fait, numéro 1 du team. Tout cela se faisait naturellement » précise-t-il. « Par contre, le coach, Jean-Louis Guillou, nous donnait les instructions techniques. Nous devions prendre tant de tours pour une course de 1 000 km, 500 tr/mn de moins pour une course de 24 heures. Ces consignes techniques venaient bien sûr de l’usine ». Consignes qui seront respectées à la lettre et sans aucun état d’âme de la part d’un homme qui ne triche pas. La preuve en est l’intersaison 79/80. Même s’ils étaient concurrents sur la piste, Jacques Luc s’entendait bien avec Jean-Bernard Peyré qui, après quatre belles années sur les Kawasaki Pipart, passe du vert au bleu/blanc avec Suzuki. Jean-Bernard propose à Jacques de se lancer avec lui dans l’aventure qu’est toujours une nouvelle structure. Jacques en parle avec son écurie Honda Belgique. « On a discuté, je leur ai même proposé un remplaçant. Mais je n’ai pas pu me libérer de mon contrat ». Correct comme toujours, Jacques Luc ne « cassera » pas ce contrat et l’honorera jusqu’à la fin de la saison 1980.

Fatalité 

Jean-Bernard Peyré disparaît en août de cette année 80 dans un accident de la route. On se souvient bien sûr et également que Christian Léon s’est tué en novembre de la même année au Japon en essayant la Suzuki d’usine. Dans ce qui aurait pu être une débâcle tant le sort s’acharnait, Dominique Méliand, l’alter ego de Jean-Bernard à l’atelier et aux stands, réussira à préserver l’écurie Suzuki.
Dominique Méliand et Jacques Luc sont des hommes droits et de fidélité. Jacques rejoint donc le team Suzuki en 1981 où il roulera avec Pierre-Étienne Samin. Devenu le Suzuki Endurance Racing Team, avec des motos désormais officielles, l’écurie de Jean-Bernard et de Dominique quitte son statut d’outsider. Les résultats sont là tout de suite. À noter qu’il y avait égalité de traitement avec l’autre équipage, Hervé Moineau et Richard Hubin, chacun faisant sa course. Jacques précise : « J’ai assez bon caractère, je m’entends bien avec tout le monde, et l’ambiance était excellente tant entre les pilotes qu’avec Dominique Méliand et tous ses collaborateurs ». Après cette année pleine, Jacques Luc et Suzuki se séparent tranquillement (Dominique Pernet intégrant alors le S.E.R.T.). Sur cette même période, Jacques Luc prend du galon au Paul Ricard et a aussi des projets personnels. Ayant déjà une très belle carrière derrière lui, il va prendre de la distance avec la compétition en disputant une seule course par an, le Bol d’Or, pour Japauto et ce jusqu’en 1985, année où il arrête la compétition. 

Luc-Ricard : une longue histoire 

On sait que Jacques Luc a commencé à travailler pour le circuit Paul Ricard en 1972 (école de pilotage). Parallèlement à sa carrière de pilote, il a toujours continué avec le circuit en étant ensuite et principalement responsable de la sécurité, et ce jusqu’à sa retraite (27 ans au circuit et 10 ans à la direction des évènements de la même société).

Laissons-lui la parole 

« Vivre sa passion, en faire son métier, je souhaite cela à tout le monde. J’ai toujours eu une activité professionnelle, la course a été pour moi un plus. L’énorme chance que j’ai eue, c’est que, grâce à Monsieur Paul Ricard, j’ai pu faire ma carrière sportive sans contrainte. C’était un industriel extraordinaire ! Au circuit, nous le voyions régulièrement. On aperçoit d’ailleurs sa maison du circuit. Quand il y avait des travaux sur le circuit, il venait tous les jours avec sa Lada 4x4 et voulait tout savoir. Avec mon directeur pendant toutes ces années, François Chevalier (l’emblématique et premier directeur du circuit de 1970 à 1999), nous lui expliquions les travaux et modifications en cours. Monsieur Paul Ricard était un homme passionné, un créateur ». 

Tombé dans la marmite 

Jacques Luc, prototype du coureur de fond, ne fait aucun complexe sur sa carrière principalement bâtie en endurance. Les complexes, ce n’est d’ailleurs pas son genre… Rappelons que beaucoup de pilotes d’endurance de l’époque étaient d’abord passés par la vitesse qui a pour beaucoup (pilotes et spectateurs) plus de prestige. C’est également vrai dans d’autres sports (l’athlétisme entre autres) avec quelques exceptions (cyclisme, voile). « J’ai disputé quelques courses de vitesse, championnat de France Inter 350 et 500, dont le GP de France. Mais à partir de 1976, je n’ai plus de moto de vitesse, trouver des sponsors n’étant pas mon fort, je ne pouvais assurer financièrement la continuité d’une carrière en vitesse.
Je suis entré dans le milieu de l’endurance en 1972. Mon environnement, mon monde, c’est l’endurance. Piloter les meilleures motos d’endurance du monde me comblait, surtout que l’endurance prenait par ailleurs de plus en plus d’importance passant d’un championnat d’Europe à un championnat du Monde. Dans les années 70/80, beaucoup de pilotes de vitesse faisaient de l’endurance en complément. Moi je suis tombé dans la marmite dès le début, j’ai fait l’inverse des autres ». 

Ses meilleurs souvenirs 

« En premier, mes 4 victoires aux 24 Heures de Spa dont 3 de suite (77/78/79 et 81). Spa, c’est le plus beau circuit du monde avec Suzuka. Ce sont des circuits de pilotage. 
Ensuite, il y a le Bol 1978 avec Hubert (Rigal) sur la Honda officielle. Hubert crève dans le premier tour et tombe. Heureusement, ce n’était pas trop loin des stands. Mais la moto est « chiffon » et nous nous retrouvons derniers. J-L. Guillou nous donne alors carte blanche. Nous sommes repartis sans carénage en tirant dedans comme des malades, comme des fous. Je crois que nous prenions 10 000 tours. Une course d’enfer que nous terminons seconds derrière Christian et Jean-Claude. La moto marchait mieux à l’arrivée qu’au départ. Elle était complètement libérée. Ça pour être libérée, elle était libérée… Avec Hubert, on a tout oublié, à donf comme on dit maintenant. Ou ça passait ou ça cassait. C’est passé !
Et il y a les 24 Heures de Spa en 1981. Avec Pierre-Étienne Samin, nous étions en tête en vue de l’arrivée. Mais la moto se met à tourner sur 3 cylindres. Je m’arrête aux stands, l’équipe commence de regarder, mais Dominique Meilliand me dit : « Repars ». La Kawasaki de Raymond Roche était derrière et il restait 2 ou 3 tours. Mais on a quant même gagné, sur 3 pattes ! Grand souvenir. Quand j’ai vu le drapeau à damiers, j’ai été heureux comme un gosse, libéré après un gros stress. Je crois que c’était une aiguille de carburateur qui était à l’origine du problème ».

Côté mauvais souvenirs, il y en a peu, Jacques étant un pilote très fiable. Quelques chutes quant même dont deux dans la même course sur l’ancien Nürburgring (un circuit naturel de 23 km). Il y a eu un gros orage, la moto en slick est partie en aquaplaning à 260 km/h. La chute a été très spectaculaire, mais Jacques et la moto ont glissé tout droit, sans rien heurter, et ont même pu regagner les stands. Un peu plus tard, Jacques chute à nouveau (sur de l’huile). La moto est partie en looping et lui est retombé dessus. Il a terminé à l’hôpital pour quelques points de suture et une nuit en observation. 
Quant aux accidents : « J’ai été extrêmement touché par la disparition de Christian et de Jean-Bernard. On l’admet difficilement mais l’évidence est là. Qu’en dire ? ». 

Du beau monde 

En 1971, au Circuit Paul Ricard, il y avait une école de pilotage moto et une école auto, le célèbre « Volant Elf ». Jacques Luc a gagné en moto et Patrick Tambay a gagné le Volant. L’année suivante, les deux couraient donc aux couleurs du circuit, Luc en Critérium 750 et Tambay en Formule Renault. Jacques Luc commente : « Quand je rencontre Patrick, nous en reparlons. Notre jeunesse… Sympa. Et dans le cadre de mon travail, j’ai côtoyé régulièrement Lauda, Prost, Reuteman, Lafitte, Pescarolo, Larousse, Ken Tyrell, Ron Dennis et bien d’autres qui venaient faire des essais. En 1974, je me souviens de Phil Read venu tourner sur la MV. Sonauto avec Pons et Sarron passaient souvent, de même que tous les autres français. Il y a également eu Gardner, Lawson, Kenny Robert et d’autres grands noms ».

Aujourd’hui 

Jacques Luc est à la retraite et habite non loin du circuit. Il roule avec une 750 Kawasaki ZR7, sa moto précédente étant une 600 CBR Honda. « J’essaie de garder mon permis et de rouler normalement, mais c’est difficile ! » dit-il. Et Jacques Luc ajoute : «Je me demande si une Yamaha R1 ne va pas plus vite que les motos officielles de l’époque. Ça freine mieux, et c’est mieux en tenue de route et en moteur. Mais il faut rester dans le contexte. J’ai un oncle qui s’est acheté une MV. Il est venu me la faire essayer. Avec ça on aurait tout gagné ».
Son analyse des années 70 ? « Il y avait une ambiance, nous étions très pro mais ce n’était pas encore le vrai professionnalisme, avec ce qu’il a comme défauts. Ça change à partir du début des années 80. C’est une évolution logique des choses. Plus d’enjeux, plus d’intérêts. Cela se fait un peu au détriment de l’ambiance. C’est normal ».Nous savons maintenant tout, ou presque, de Jacques Luc. Normal, logique, cohérent, ces mots reviennent quant on retrace son parcours.
Reste LA grande question. Comment un homme hyper passionné certes, mais tellement « bien sous tous rapports » peut-il aller aussi vite ? Si on lui demande, sûr qu’il va sourire ou même rigoler… sans répondre. 
Il y a pourtant forcément chez Jacques Luc un grain de folie. Il est juste bien caché. 

Article de François Gomis décembre 2011
(avec l'aide de Jacques Luc Photos collection personnelle de Jacques Luc) 

 

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