né le 6 mars 1950 Paris / décédé le 16 septembre 1976 Le Mans
Au firmament du sport moto il y a des étoiles qui brillent intensément tels des soleils incandescents ... elles ont pour nom, Hailwood, Sheene, Ivy, Pons, Rougerie, Léon, Chevalier, Saarinen, Pasolini ... Dans ce ciel au mille couleurs, il y a également des étoiles filantes, astres éphémères qui brillent un instant pour tomber aussitôt dans le noir de l'oubli. Mais celles et ceux qui ont connus ces espoirs de vie, ces flammèches de talent n'oublient pas ... n'oublieront jamais.
François Gomis raconte la vie et la courte gloire de Gilbert Lavelle, pilote doué, humble et gentil. Mais au delà de l'hommage à Gilbert cet article est mon coup de cœur à François ... Pilote lui même puis journaliste, il a vu et connu toutes ces étoiles et un jour la souffrance a été la plus forte et il a décidé de tourner la page ... Il ya quelques années nous nous sommes rencontrés lors d'un Bol d'Or Classic et j'ai senti, j'ai compris toute l'émotion et la blessure de François ... aujourd'hui en écrivant ces lignes je sais que François a, en partie, exorcisé ces souvenirs ... Merci pour ton aide François, merci pour nous faire revivre ces moments et ces pilotes que tu aimes tant.
Francis
Allez savoir pourquoi le petit Gilbert, parisien puis val-de-marnais (Chevilly-la-Rue) se passionne pour la moto ? Un père conducteur à la R.A.T.P. (Régie Autonome des Transports Parisiens), une maman et trois grandes sœurs, le B.E.P.C et un jour sa première mobylette ; jusqu’à la rien d’exceptionnel.
Cela prend tournure quand Gilbert refait entièrement sa « mob » achetée d’occasion. Propre et net. Cela se précise quand il apprend la mécanique et commence à travailler chez Murit, le plus grand motociste parisien de l’époque rue Lacordaire à Paris dans le quinzième arrondissement. Il est arpette, puis vrai mécano et rencontre d’autres grands gamins qui mélangeront eux aussi la vie et la moto. Parmi eux, Michel Rougerie qui vient « bosser » avant de devenir pilote professionnel ; Jean-Pierre Boulmé, futur grand photographe, qui cintre et soude les tubes des side-cars Précision ; et « P’tit Jean » Jésus Beatove. espagnol et belge, magasinier, ex-Japauto, ami de Michel, qui propose à Gilbert Lavelle de venir avec lui à Sanary (Var) passer les vacances chez Madame et Monsieur Rougerie, les parents de Michel.
Un jour, Michel, Jésus et Gilbert, qui s’est acheté une 4 pattes, montent au Castellet pour tourner. En revenant, Jésus monte derrière Gilbert. Pour impressionner Michel, Gilbert attaque trop fort sur les petites routes du Var et c’est la gamelle. Gilbert sert d’airbag à Jésus mais s’épluche… Terminé les baignades… C’est peut-être la seule fois où Gilbert Lavelle est pris en train de « frimer » ; mais c’était pour impressionner un Michel qui était déjà Rougerie. C’est pardonnable…
Et arrive la compétition. Gilbert Lavelle se montre immédiatement très rapide. Toujours aussi calme et poli, il aligne tranquillement des chronos de haut vol.
Quand arrive l’année 74, tout le monde comprend très vite que le Critérium 750 (royaume des H2) ne peut pas lui échapper. Lavelle, toujours aussi méthodique, ne laissant rien au hasard, prend peu à peu l’ascendant sur tous ces adversaires. Il faut se remettre dans le contexte. Même si Gilles Husson était passé à l’étage supérieur, le Critérium 750 était un nid de talents. Souvent plus de 100 fêlés aux qualifications, puis les quarante fêlés les plus vite qui se transforment en fondus pendant la course ! Et des bastons d’anthologie. À tous les étages. Hommage d’ailleurs aux pilotes du midi de la France (Jean-Jacques Coq, Armand Gras, et bien d’autres). Des terreurs. Et il n’y avait pas qu’eux ! Pernet, Levieux par exemple. Mais peu à peu, Lavelle s’impose. Eclatant. Un grand pilote est né.
Parallèlement à la course, Gilbert se retrouve donc très naturellement chef d’atelier d’un concessionnaire Yamaha, Paris Moto Service, avenue Jean Jaurès dans le 19e arrondissement de la capitale. Un bon poste pour un jeune homme de 24 ans. Gilbert s’affirme alors non seulement comme un très bon mécanicien mais également comme un meneur d’hommes.
Serge Riou, l’un de ses amis, pilote également, qui assurait l’assistance technique de la coupe PMS (des 250 Yamaha affutées pour le circuit) dit de Gilbert : « Un très bon pédagogue, très patient, capable de faire une synchro de carbu à l’oreille ». Une fois, Serge a d’ailleurs pris une colonne à mercure pour vérifier le travail de Gilbert. Parfaite la synchro ! A l’instar des grands musiciens, Gilbert Lavelle a « l’oreille », non pas musicale, mais mécanique.
Et Serge Riou raconte d’autres anecdotes. A Magny-Cours, Serge essaie la moto de Gilbert. Surpris par les freins, il se plante ! Poignet cassé et fourche pliée. Serge achète les pièces (à la Folie Méricourt) et le mécano PMS, Christian Caillon, prend un congé pour réparer la moto. Bien plus tard, après avoir gagné le Critérium et surtout un peu d’argent, Gilbert vient voir Serge et lui demande « Combien je te dois pour les réparations ? ». Rien ne l’obligeait à le faire. Sans oublier le chanteur C. Jérome que Gilbert a gentiment éconduit de l’atelier où il faisait des photos parce que ça durait un peu trop longtemps et que ça gênait les gars pour travailler…
Reste que la compétition, la vraie, coûte cher. Surtout que PMS a des difficultés et Gilbert perd son travail.
Vainqueur du Critérium 750 en 1974, licence Inter 1975 toute neuve en poche, il racle les fonds de tiroir pour acheter une TZ ex-Pons. N’étant pas un homme d’argent, il compense avec la rage et se fait remarquer sur le circuit européen. Seulement quand ça ne veut pas… chute en Italie et pied cassé ! Il est d’ailleurs l’un des premiers à être soigné par le légendaire Docteur Claudio Costa et sa toute jeune clinique mobile. Heureusement, sa classe lui ouvre les grandes portes de l’endurance avec l’une des plus grandes équipes d’endurance, National Moto, qui lui propose un guidon. Il fait équipe avec le suisse Philippe Bouzanne puis avec Jean-Claude Hogrel.
Gilbert, à défaut d’une carrière en vitesse, fait sa place dans l’endurance. Arrive le Bol d’Or 1976 au Mans. Aux essais du jeudi, J-C. Hogrel passe la Kawa à Gilbert. Dans son premier tour, Gilbert Lavelle tombe dans le virage du Chemin aux Bœufs. Un futur roi de l’endurance perd alors la vie après une carrière brillante mais terriblement courte.
Gardons comme souvenir la gentillesse et le fair-play de ce garçon hors normes. En 74, après Nogaro, il m’a demandé d’être son coéquipier pour la dernière course de la saison, l’endurance de la Coupe des 4 saisons, au Castellet. En tête ou second, je me suis sorti (avec l’amical complicité de l’ami Hervé Guilleux : tords partagés !). Quand je suis revenu aux stands, Gilbert n’a rien dit et s’est inquiété de mon état. Pas un mot de trop. Grand seigneur. L’une des sœurs de Gilbert se souvient qu’il avait dit à son beau-frère qu’il ne voulait pas se marier tant qu’il ferait des courses de moto. Et que, s’il devait mourir, il voulait que cela soit en course.Gilbert Lavelle repose à Fabrègues, un village à une dizaine de kilomètres de Montpellier.
Terminons avec Daniel Adrian qui rappelle que Gilbert, apparemment toujours sérieux, savait aussi s’amuser, même plus que s’amuser. Le suivre était alors difficile précise Daniel ! Comme sur la piste d’ailleurs. Depuis le 16 septembre 1976, Gilbert tourne sur la piste aux étoiles.
François Gomis
P.S. : merci à la Famille de Gilbert.