Le Bol d'Or 1977 a été un tournant dans l'histoire de l'endurance. Au moins 100 000 spectateurs, le dernier Bol au Mans, des écuries qui se structurent et des pilotes de plus en plus "pro"... Ci-dessous une vidéo exclusive (merci à Jean-Louis Guillou, team-manager historique du HRC). Mais avant ce Bol d'Or vu de l'intérieur raconté par François Gomis qui l'a disputé avec son frère Laurent sur une Yamaha 350 TZ.
Le Bol d’Or 1977 vu de l’intérieur
Du monde au départ ! Des Internationaux français de premier plan comme Jean-François Baldé, Olivier Chevallier, Michel Rougerie.
De jeunes Internationaux plein de talent comme Guy Bertin, Philippe Bouzanne, Thierry Espié, Marc Fontan, Hervé Guilleux, Hervé Moineau, Jean Monnin, Jean-Bernard Peyré, Raymond Roche, Éric Saul.
Des costauds-rapide, certains ayant fait podium en GP comme Christian Bourgeois, Jean-Paul Boinet, Jacques Luc, Roger Ruiz, Pierre Soulas, Thierry Tchernine, le franco-australien Victor Soussan, le finlandais Pentti Korhonen, les suisses Michel Frutschi et Roland Freymond, le britannique Stan Woods et quelques autres « Britons » habitués à jouer des coudes.
Des carrures mondiales comme le néo-zélandais Graeme Crosby et le japonais Takazumi Katayama.
Une légende en la personne de Phil Read. Liste non exhaustive et forcément subjective. Pas mal ! Une précision, nous savions peut-être que c’était le dernier Bol d’Or au Mans. Mais avant que cela soit le dernier, il fallait le déjà le faire ce Bol ! Nous n’étions donc pas le dos de la main sur le front et le buste penché nous disant : Profitons-en, c’est the last au Mans. En plus, ça rime… Non, ça s’annonçait raide, alors pas d’état d’âme. Un peu de pluie ? Normal, on est au Mans.
Pourquoi une TZ 350 ?
Parce que j’en avais une (modèle 1976) et que je ne fichais rien avec because boulot et mouflets. Avec mon frère, nous n’avons pas cherché plus loin. Est-ce que ça va tenir ? On verra bien… Voilà notre état d’esprit. Yves Kerlo a fait la préparation. Confiance absolue. Budget : trois ronds. Plus le carburant, les pneus, les bougies, deux ou trois petits trucs gratuits. Et hop.
Maturité
L’endurance, qui s’est réveillée en 1969, arrive visiblement à maturité en 1977. C’est vrai sur la piste comme aux stands.
L’avantage pour les plus rapides, aux essais comme en course, c’est que tous les autres pilotes avaient de la bouteille et de l’expérience. Même les « seconds couteaux » étaient quant même de bonnes petites lames et avaient brillé dans leurs championnats nationaux respectifs.
Ensuite il n’y a plus de trapanelles, d’os, au départ. Le règlement de la Fédération Internationale était rôdé et les commissaires techniques ne laissaient rien passer. Et il n’y a pratiquement plus d’aventures techniques plus ou moins hasardeuses, comme on l’avait vu encore l’année d’avant.
Enfin, le niveau général de préparation avait lui aussi progressé au fil des ans. Il faut principalement en remercier quelques concessionnaires (dans ces années-là, Japauto, Pipart, National Moto pour ceux qui me reviennent. Mes excuses pour les autres). Des motocistes qui se sont impliqués surtout par passion, renvoyant ainsi la balle à un secteur d’activité moto en plein essor. Les préparateurs, les premiers team managers, les chefs d’atelier et les mécaniciens avaient aussi cogité, prenant ce qu’il y avait à prendre dans la compétition automobile les années précédentes. Mais il y a eu aussi beaucoup d’innovations, de trouvailles, d’intelligence. Et les petites équipes ont suivi. Hommage aussi aux mécaniciens moto, eux aussi passionnés, dont la compétence s’est accrue au milieu des années 70 un peu grâce aux stages de formation des importateurs et à du matériel de qualité (outillage, manuels).
Et dans les caravanes et camping-cars, les grandes équipes ont des kinés, des cuisiniers, des responsables de l’intendance. Les petites écuries font ça en famille (merci Mesdames) et avec les copains (merci les copains). Les stands étaient devenus professionnels, même s’il y avait beaucoup plus de bénévoles que de salariés !
Les essais.
Un niveau général élevé. Du beau monde avec, on l’a vu, un paquet de pilotes de vitesse très affutés qui couraient chaque week-end en GP et en courses Inter aux quatre coins de l’Europe voire plus loin, et qui venaient faire une « pige » en endurance. Et bien sûr, les premiers pros du tour d’horloge de l’histoire de la moto. Des bêtes de combat longue durée…
Il ne fallait donc pas réfléchir quand on prenait la piste aux essais alors que, par exemple, Christian Léon sur sa Honda d’usine se bagarrait pour la pôle avec Jean-Paul Boinet et sa Yamaha 750. De toutes façons comme on n’a pas de rétroviseur, on ne s’occupait pas d’eux. Ils se débrouillaient.
Juste avant
L’heure avant la course est magique. La nuit précédente n’a pas forcément été la meilleure de l’année mais on l’a oublié, comme tous les soucis et ennuis de la préparation. L’excitation est là, palpable, partout. Il ya du monde, beaucoup de monde. Peut-être une année record. Extraordinaire de voir cette année-là les tribunes du Mans d’en bas, à côté de sa moto ? On dit noir de monde. Mais il n’y avait pas que du barbour et du cuir noir. Beaucoup de couleurs dans les gradins, comme pour répondre à celles des motos alignées côte à côte. Le public. Un peu idiot de parler de communion. Mais le mot est lâché. Inoubliable. Combien étions-nous cette année-là ? 100 000 ? Plus ? Et moi, et moi, et moi ? Non, l’endurance, ce n’est pas ça. Rien ne s’y fait seul.
Pour ceux qui ont l’habit de lumière, cette heure est magique, parce que tout est possible. Même si on a envie d’ajouter en paraphrasant notre frère Coluche : il y en a pour qui c’est plus possible que d’autres !
La course
C’est parti très fort. On s’en doutait avec le tandem Boinet-Soussan et la Yamaha qui avaient vexé Honda. Mais la Yam a eu très vite des problèmes de serrage (à l’origine une bête histoire de réservoir). Pas de bol, au propre et au figuré pour Jean-Paul et Victor. Ça arrive, même aux meilleurs. Ils étaient là pour tenir le plus longtemps possible et, pourquoi pas, terminer bien ou même très bien. C’est d’ailleurs étonnant ce qu’il se passe quand un team de pointe a des ennuis, ou quand l’un des pilotes (vedette ou non) rentre en poussant. Dans les stands, on se regarde en faisant une petite grimace. La tribune en face bouge, bruisse. C’est la même chose au-dessus des stands où on comprend mieux ce qui se passe. Des teams envoient tout de suite quelqu’un «espionner». Et la cause plus ou moins vraie de l’arrêt se répand de stand en stand. Quand il y a une chute, deux solutions. Hôpital ou non. Dans le premier cas, on finit par avoir des infos, souvent bien plus tard, voire après la course.
Il est difficile pour un pilote qui tourne de savoir ce qu’il se passe. Une chute, un copain qui pousse, une moto au ralenti, difficile d’analyser. Ca va très vite et il ne faut surtout pas se déconcentrer, trop dangereux.
Le nez dedans
Quand on tourne, hormis le panneautage qui vous indique temps et/ou place, une seule préoccupation : rester concentré et faire le mieux que l’on peut. Les pilotes des teams de pointe ont sans doute des consignes, des stratégies de course. Un petit team privé ne s’occupe que de ses affaires. Toutes les heures, une feuille de classement est distribuée à chaque stand. On la regarde attentivement pour savoir d’abord où l’on en est. Ensuite, on commente quelques secondes, notamment les casses, les abandons. Boinet-Soussan, on a tous vu. La Ducati de Fougeray, la Honda officielle de Woods et Marshall, Freymond, Moineau et Peyré, Rougerie-Chevallier, Baloche-Espié, Bouzanne, Gras-Roche, Toffolo, Husson-Le Liard, Bertin-Fontan, Hogrel-Saul…, bref, ça tombe et ça casse avant que la fatigue arrive. Et pour d’autres, ça galère. Même si la préparation a fait de gros progrès, une course reste une course. Avec la nuit, on est rentré dans le dur. Pas souvenir d’une image marquante de cette première partie de nuit. On laisse la moto au co-équipier en lui disant quelques mots (ça glisse là, et/ou une micro analyse de l’état de la moto, ou RAS), quelques minutes avec le stand pour discuter et direction la caravane.
De mémoire, personne ne s’est vraiment mal, cette année là. Enfin, il y en a peut-être qui ont pris. Mais il n’y a pas de mort. L’année d’avant, il y a eu Gilbert (Lavelle). Et en 1975, le japonais Morio Sumiya, co-équipier de Christian Léon. C’est comme ça. On n’y pense sans y penser. Comment ça se passe ? Lavelle. Le jeudi 16 septembre 1976, vous débarquez au Mans en touriste en milieu d’après-midi avec votre épouse. Dans le parc, vous croisez un pote qui tourne (en l’occurrence Éric Saul). Dialogue : «Ça va ? Non, Gilbert vient de se tuer. Où ? Au Chemin aux Bœufs. Comment? Tombé tout seul. On ne sait pas. Un silence. Bon, à plus tard». Voilà, c’est tout. Que veut-on qu’il y ait d’autre ? Votre épouse, ou votre compagne ? Quelques mots peut-être. Ça aurait pu être vous, ce jour-là ou un autre. La différence avec la vie normale, c’est que les horaires des essais et de la course indiquent des créneaux de dangerosité aigüe. Les pilotes sont égoïstes. On en parle ensuite, pas beaucoup. Mais personne n’oublie, on met ça sous le casque, dans un coin. En 1977, rien de tout cela. Heureusement.
C’est beau un circuit la nuit
Les lumières, les autres motos, les odeurs de merguez-frites qui traversent la piste, l’enchainement des relais, enlever le casque un peu sonné, mettre le casque un peu tendu. Ça roule. Sauf s’il y a problème. Là c’est moins bien. Pour moi, une heure du matin, sinusite ! Piloter un œil fermé avec la tête qui bat au rythme du cœur, pas bon. Surtout que ça fait un mal de chien. Arrêt au stand inopiné. Laurent qui arrive à toute allure et prend la moto. Infirmerie du circuit. Verdict : médicaments et le toubib qui dit «vous arrêtez immédiatement». Laurent tourne deux heures de suite (maximum autorisé par le règlement). Au bout des deux heures, le commissaire de stand, désolé, qui dit : stop maintenant. Et tout le monde au dodo ! Laurent et Yves Kerlo (qui a préparé la moto) ne disent rien mais font la gueule. Moi, je m’en fiche, j’ai mal. Laurent est reparti vers 8h30 (je crois), j’ai pris le relais et ainsi de suite. La sinusite n’est pas revenue et on a terminé;
Par élimination
En endurance, on peut si l’on veut voir plusieurs courses.
1/ Les grands savent exactement où ils en sont à chaque tour. Leurs panneauteurs leur indiquent régulièrement l’écart avec leurs concurrents directs. Ainsi cette année-là, Honda contrôle mais à chaud au dosseret. Jacques Luc et Pierre Soulas abandonnent. Les incontournables Christian Léon et Jean-Claude Chemarin ont aux trousses la Kawasaki de Jean-François Baldé et Michel Fruschi. Ils sont quand même un peu fâchés tous ces leaders. En début de matinée, ils deviennent encore plus incisifs. Mais encore une fois, il n’y a aucun complexe à avoir. Ils font leur job, les autres aussi.
2/ À distance, il y a les pilotes qui sont ou qui peuvent terminer dans les points (on en marque jusqu’à la dixième place). Pour eux, toutes les stratégies sont possibles. Garder le rythme en surveillant l’arrière et en attendant que ça casse devant, attaquer style «ou ça casse ou ça passe» et faire tourner au maximum du règlement le pilote le plus rapide, enfin on peut aussi ne pas s’occuper du classement.
3/ Puis il y a ceux dont le seul objectif est de terminer. Ce qui explique principalement les différences de chrono, vraiment visibles du bord de la piste, dès le milieu de la matinée (le pire, c’est la nuit, mais ça se voit moins). À noter que pour les hommes qui se bagarrent en tête, ce sont les heures où ces «attardés» sont le plus gênant. Quant à savoir si l’on fait partie de ces «attardés», bof. Là encore, c’est comme ça. Et on peut aussi transposer dans un autre sport. Le tennisman qui se fait sortir au premier tour d’un tournoi du Grand Chelem ou les «anonymes » que les caméras ne suivent pas dans une finale olympique du 10 000 mètres ou du Marathon, sont des mauvais ? Faut le dire vite !
Le grand Roger
Cela n’empêche pas un petit coup d’œil sur la feuille de classement qui signale l’abandon de Roger Ruiz et Takazumi Katayama et de Graeme Crosby. Pour se détendre et si on est à peu près en forme, on peut se balader 10 minutes dans les stands avec quelqu’un de l’équipe et en ayant prévenu le responsable du stand. Ça décontracte. Je me souviens avoir vu un relais entre Katayama et Ruiz (Yamaha 750). Juste avant de prendre le guidon, le grand Roger te fait un clin d’œil. Et tu regardes Katayama enlever son casque dans le stand. En les regardant, ce n’est pas qu’on est envieux, mais quant même. Et tu te parles intérieurement à-toi-je : « Si tu voulais être comme eux, tu n’avais qu’à aller plus vite ou te dem… autrement ». Rien d’autre à dire si on est honnête. On se croise peu entre pilotes pendant une course d’endurance. Stand, caravane, stand, caravane, c’est comme ça pendant 24 heures. Un petit clin d’œil (comme celui de Ruiz), deux mots échangés, ou rien selon l’humeur. Parfois un peu plus, avec le stand voisin par exemple. Dans notre cas, il y avait à côté deux anglais sur une Kawa 1000, Mike Trimby et Andy Goldsmith. On s’était salué avant le départ. Les dernières heures, nous étions l’un derrière l’autre au classement, dans les 20. Ça fait sourire forcément. Sympa.
La dernière heure
Un pilote se souvient principalement de ce qui a un rapport avec sa course. Normal. On faisait des relais de 40 minutes avec la Yamaha TZ. Laurent avait pris le départ, et c’est moi qui ai terminé. Mais juste avant de rentrer une dernière fois aux stands, Laurent est tombé à la sortie du raccordement, au début de la ligne droite des tribunes. Discret… Il y a seulement deux bonnes dizaines de milliers de paires d’yeux qui le regardaient. En plus, TF1 retransmettait et Laurent était juste derrière Christian Léon que les caméras ne quittaient pas… Amusant. Pas de mal, la moto n’avait rien, je suis reparti pour le final.
Même si, sportivement, ma course (la mienne uniquement) a été nulle, c’était quant même fabuleux de terminer. Mon premier Bol et on est à l’arrivée. De quoi être quant même content.
Les derniers tours, avec les drapeaux agités, c’est tout simplement merveilleux. Petit regard complice échangé tout en roulant avec quelques collègues, aussi heureux que toi d’en terminer. Dans un virage lent, croisement de regard avec un commissaire. Complicité encore. Signe de la main à tous en guise de remerciement. Un grand passe dans les derniers tours (Chemarin ?) en douceur et en décomposant bien sa trajectoire. Des images qui restent gravées.
Tout s’arrête d’un coup avec l’envahissement de la piste. Des claques sur le dos, des cris de joie, un gars de l’équipe pour ouvrir le chemin et un dernier plongeon dans le stand. C’est fini. Nous terminons 22ème et sommes les premiers non classés. Distance parcourue insuffisante par rapport aux vainqueurs. C’est de ma faute. Enfin, responsable mais pas coupable. Ceci dit, en démontant le moteur, Yves Kerlo a trouvé un goujon de cylindre cassé. Un seul, pas suffisant pour que la culasse se soulève. Le moteur aurait-il tenu si je n’avais pas eu mon pépin ? C’est peut-être grâce à moi que l’on a terminé ! Un peu de mauvaise foi ne fait pas de mal de temps à autre.
Le 41ème Bol d’Or
En résumé, Léon et Chemarin ont gagné et c’était mon premier Bol. C’est tout. Non, humour. Au-delà de notre aventure, il y a un souvenir très précis. Le style de Phil Read, son élégance. En Grand Prix, ils ne sont que quelques-uns à avoir vu Read d’aussi près. Nous, en endurance, cette année-là, nous avons eu cette chance. Je n'ai pas dit "suivre Read", j'ai dit voir. Simplement.
Chacun se souvient de ce qu’il veut.
François Gomis
Classement général du Bol d'Or :
1. Jean-Claude Chemarin & Christian Léon (Honda 997),
2. Jean-François Baldé & Michel Frutschi (CH) (Kawasaki 1000),
3. Christian Huguet & Pentti Korhonen (SF) (Honda 997)...
Coupes de marques :
Jean Lafond remporte la 7ème manche de la phase finale de la Coupe Kawasaki-Moto-Revue.
Philippe Meyer remporte la 15ème épreuve de la Coupe Motobécane.
Eric Delcamp remporte la 9ème épreuve du Challenge Honda-France.
Jean Lafond remporte la 2ème manche du Challenge Europa remporté par Marc Fontan.