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Joël Guilet

Vas y Jo...

Chimay juillet 2009, grand prix des frontières, première séance IPC 125. Je suis la 125 RS numéro 98, une combinaison badgée Dzus, un casque avec un rond noir au dessus de la visière... J'ai déjà vu ça quelque part... j'observe les trajectoires, c'est du tiré au cordeau, le pilote utilise vraiment toute la largeur de la piste frôlant le mur extérieur, ne ratant aucun point de corde, c'est impressionnant; Coté style de pilotage, c'est sobre, coulé mais quand arrive un freinage, je frôle le tout droit à vouloir le suivre. papy sait freiner... un jour, toujours... On arrive maintenant dans la grande descente de Chimay. Un truc un peu terrifiant, une enfilade de courbes rapides bordées d'arbres et de rails avec, pour faire bonne mesure un bitume bosselé. La petite 125 se jette dans la descente, toujours ces gestes précis et sûrs mais le poignet droit reste à fond... papy fait de la résistance... big balls un jour, big balls toujours... Au moment du départ de la première manche, je suis allé prévenir papy qu'il ne fallait pas qu'il coupe son moteur après le tour de chauffe parce que les départs à la poussette c'était terminé... Au feu vert, sa moto a jailli, il a doublé les deux lignes devant lui, s'est faufilé au premier freinage... A l'arrivée, il était en ébullition, il râlait que ci, que ça... caractère de m.. , caractère de champion... ça non plus ça ne se perd pas...

 1971. Course de cote du Salève... Un gamin avec un 50 Mondial participe à sa première course de moto. Il n'a pas encore eu le temps de peindre un rond noir sur son cromwell et pas trop au fait du règlement, il n'avait pas de combinaison en cuir et a dû en emprunter une sur place dans la paddock. La combinaison trop petite, ne pouvant la fermer, il enfile un pull par-dessus, mais ça ne l'empêchera pas de finir premier 50 devant un autre débutant, un certain Guy Bertin. Pas loin de 40 ans entre ces deux courses pour Joel Guilet … ils ne sont pas très nombreux à pouvoir faire preuve d'une telle longévité. Et, curieusement, même s'il a eu une carrière atypique, force est de constater que depuis 40 ans, lorsqu'il monte sur une moto, il est aux avant postes.
Apres la course de côte de 1971, le pli est pris, le jeune Joël a trouvé sa voie, il sera pilote ou rien. Le 50 Mondial subit une préparation poussée et est rebaptisé Mongui pour l'occasion (Mongui Mon-dial - Gui-let ) ... Mais maman Guilet ne voit pas les choses de la même manière car pour elle, pilote ce n'est pas un métier. Joël ira donc apprendre pendant quelques années le métier de mécanicien dans l'Armée de l'Air mettant à profit ses permissions pour courir.

1972, le Mongui a subi une préparation poussée, cadre treillis, allumage électronique,kit Villa, fourche de Kreidler. C'est le French circus, avec la Juva 4 d'assistance. Mais déjà débrouillard, Joël a déniché un contrat huile Finamix, il porte une combinaison blanche, un intégral. Et il se débrouille à se faire prêter une 125 Yam TA et une 125 Maico . Les motos sont fragiles mais cela permet déjà de voir qu'entre deux casses, les chronos sont bien là...
C'est alors qu'il fait connaissance de Jean Claude Gauthier qui court en rallies avec une 125 de sa conception. Joël convainc l'artisan Caladois du potentiel de sa moto en circuits et en 1973, il est quasiment propulsé pilote d'usine en coupe des 4 saisons ( l'ancêtre des promosports de l'époque) . Et il gagne cette coupe haut la main.

1974, Déjà trop titré pour avoir le droit de rouler dans une formule de promotion, la fidélité de JC Gauthier lui permet de rouler au tour de France en 125. Il y fait un festival, remportant en 125 tous les circuits et toutes les spéciales et côtes, mais il perd sa feuille de route. L'histoire ne retient que les vainqueurs et oublie les anecdotes, out.
Joël qui travaille alors pour Motobécane Rhône Alpes est pressenti par la marque pour un bon guidon qui serait dans la suite logique des années 72-73. Il doit essayer la moto à Lédenon mais le moment de son run tarde. Alors, il emprunte une moto pour faire une série de tours afin d'être en forme lorsque la 125 sera prête. La H2 empruntée serre, Joël vole, la main droite se prend dans la chaîne; ambulance, hôpital, un pouce droit voué à l'amputation. Pas de guidon officiel…
Ensuite, l'histoire se complique. Joël s'accroche, soigne cette sale blessure, fait mentir les pessimistes et arrive à nouveau à piloter. Après, il faut rebondir mais Lyon n'est pas Maison Alfort et ce n'est pas la place la plus dynamique pour percer dans la moto... Joël est trop sérieux pour se lancer dans le plan hasardeux d'une 250TZ à crédit financée par des primes d'arrivée à venir... Il cherche, multiplie les contacts, s'essouffle, attend, roule avec ce qui se présente mais finalement, il se retrouve dans une spirale de coups d'éclat sans lendemain solide ... Quand on additionne les coups d'éclat, on se rend compte maintenant que ça représente tout de même un beau palmarès.. 

1975 : Joel participe de nouveau au Tour de France . Cette fois c'est avec une 250 Guzzi prêtée par Motobécane. Malheureusement, à force de vouloir taxer des PMS au freinage, avec un Grimca plein d'eau, c'est la chute éliminatoire.

1976 : Une pige sur une 125 Motobécane compé-client le place en première ligne à Pau au milieu des Morbidelli, de la Motobécane usine de M. Balloche et de la Yam de R. Roche ! Pour rouler quand même, il s'engage au challenge GT80 Yamaha, une série de courses avec le minitrail Yam, et s'y arsouille avec JCO, Cyril Neveu, Alain Vial, Patrick Tran Duc…

1977 : Il essaye de rebondir en rallies ... La belle promesse d'une Honda ex-usine du Dakar pour le Tour de Corse, une bonne assistance, il y croit dur comme fer... Toujours militaire, il se fait muter en Corse afin de s'imprégner du tracé. Las, un mois et demi avant le départ, tout tombe à l'eau. Joël décide tout de même de participer au Tour de Corse. Il n'a que son GT80 dans son garage donc il y participera avec ! Le GT est transformé en bête de rallies, gros réservoir, éclairage 100 watts... En course, tout va bien jusqu'à ce qu'on lui vole le mini un soir au parc fermé. Le mini est retrouvé, Joël déclassé, puis réintégré mais hors classement... dommage, il était 3eme au scratch.
Mais à peine rentré du Tour de Corse, à force de persuasion, Joël convainc le fabricant de vêtements de travail "Aldophe Lafont" des bienfaits du sponsoring moto. Séduit, le roi du bleu de chauffe débloque un budget pour la saison 77 ,et Joël rejoint alors le team d'Alain Vial pour être coéquipier de ce dernier sur l'une des 750 TZ qui s'aligne en endurance. Et Joël saute du GT80 à la grosse TZ. En guise de galop d'essai, juste avant de partir aux 1000km de Mettet, le team lui a programmé une séance d'essais à Magny Cours. Joël a droit à 10 tours sur une 350TZ sous la pluie ( " commences par la 350, c'est déjà 5 fois plus gros que ton GT " lui ordonne le chef mécano); bien sur la 350 est préparée, archi pointue et interdiction de tomber. Première étape dont Joël se débrouille... Ensuite, la même avec la 750, dépêche toi, on devrait déjà être sur la route. Après, on charge et direction Mettet. Mettet, c'était ( et ça reste) un grand triangle , une ligne droite interminable, un banking en béton au milieu des vaches, une chicane et une épingle à cheveu pourrie de bosses. Joël ne tarde pas à trouver le mode d'emploi de la 750; avec son gabarit de crevette, dans le bout droit, la yam déboîte tout ce qui roule...308km/h ! Entre la ligne droite de Mettet, avec ses bosses, ses fossés et le châssis de la 750 ( à l'occasion, observez de près le diamètre d'une fourche d'OW31), pour avoir la meilleure vitesse de pointe, il ne suffisait pas de tourner la poignée et attendre que le panneau 150m se manifeste, il fallait aussi les avoir bien accrochées pour rester soudé! A l'arrivée, Alain Vial et Joël sont 5ème à 3 secondes derrière les quatre Honda d'usine.
C'est donc plein d'espoirs qu'ils arrivent au Bol d'Or. Hélas, rien ne se passe comme prévu. De problèmes en problèmes, les essais sont calamiteux; pendant que Boinet se bat pour la pôle avec son OW, Vial Guilet se qualifient en fond de grille. En course, les galères commencent à s'estomper. Mais lorsque Joël rentre au stand en se plaignant d'un pneu Ar qui glisse, le mécano a déjà la main sur la selle pour le renvoyer en piste avant qu'il ait eu le temps de finir sa phrase. Deux tours plus tard, la 750 est par terre à La Chapelle. Fin du bol. Fin de l'aventure. C'est très mal vu quand on est second pilote de culbuter la moto. Le team reconnaîtra bien plus tard qu'en fait, oui, le pneu Ar glissait puisqu'il était barbouillé d'huile recrachée par le reniflard de boite. Trop tard...
A la fin de cette saison 1977 qui se termine en vrille, Joël se retrouve encore une fois démuni. Mais il a d'autres projets. En 1979, il se lance dans la fabrication d'accessoires moto en polyester, carénages, selles sous la marque ERS... Une aventure qui le mènera très loin. mais il ne lâche tout de même pas complètement le guidon. L'endurance lui ayant tout de même laissé de bons souvenirs, il transforme sa 750 Ducati de route en 900 SS avec l'aide de St Jean Motos, structure un team avec les moyens du bord et s'aligne au Bol d'or. Pour ne pas s'ennuyer le week-end, il est aussi chargé par l'importateur Aspes, Benjamin Savoye, d'animer sur les circuits la coupe de la même marque. Il se charge donc du suivi administratif des pilotes et des résultats, du contrôle technique, emmène sur les circuits des pièces détachées ( beaucoup de pistons surtout). Il en profite pour faire une pige par an avec une 125 Aspes d'emprunt en 125 Open. 

En 1981, la Ducati cède sa place à une Suzuki 1100 Gsx. Deux mois seront nécessaires pour transformer un brave 4 cylindres de tourisme en moto de course... La Suzuki est raisonnablement préparée, ça reste une silhouette très loin de ce qu'on peut voir aujourd'hui au bol classic mais on est aussi à une époque où la préparation ne se fait pas en consultant un catalogue. Tous les soirs chez ERS c'est le tour de chauffe. La Suzuki, l'activité polyester et puis aussi le fiat 238 à réparer, l'attelage à monter sur la voiture, le matériel de stand à repeindre, le derrick à contrôler, les roues d'avance, les consommables...Le réglage de carburation s'est fait sur le périphérique de Lyon, le rodage de la moto se terminera sur la route du Bol...
Bref, pour Joël, les deux mois avant le Bol d'or, ça n'était pas squash, footing et piscine mais plutôt résine, mécanique et course après la montre. Il y a mieux pour préparer une course de 24 heures. Son coéquipier Marc Chabert est un peu plus sportif et l'année précédente, il a fait toute la saison en mondial d'endurance. Pourtant, aux essais, la différence au chrono n'est pas flagrante. Et au milieu de la nuit, Joël est toujours dans le coup, comme si des relais d'endurance avec la grosse Suzuki étaient une ballade de santé. L'endurance physique, c'est de famille chez Joël puisque papa Guilet était un redoutable coureur de fonds mais en plus, le pilotage fluide et coulé de Joël, en parfaite adéquation avec son gabarit engendre certainement une fatigue physique moindre qu'un pilotage plus musclé.

En 1982, rebelote au Bol d'or avec la même Suzuki et le même coéquipier. Mais en 1982, il accède surtout à un vieux rêve, rouler avec un 125 Morbidelli. Celui avec lequel son copain Roger Gaillard vient d'être champion de France national. Et il s'attire les faveurs d'un sponsor original, les préservatifs Prophyltex! En 1982, il fallait oser. Avec ce Morbidelli, il s'inscrit à la manche française du championnat d'Europe. A la première séance d'essais, il est dans le coup. Malheureusement, les carters du Morbidelli ont des bornes, trop de bornes... La seconde séance d'essais se passe donc au bord du rail à regarder les copains rouler. On remballe on rentre à la maison, juste eu le temps de claquer un chrono à la première séance d'essais. Mais personne ne regarde les chronos de la première séance d'essais!!
Apres, Joël disparait presque des circuits. Presque seulement puisque les carénages ERS commencent à être très réputés dans le paddock. La carrosserie spéciale de la 250TZ de C. Sarron en 1984, c'est lui. Ensuite, le carbone, c'est aussi un composite... des carénages à un châssis carbone, il n'y a qu'un pas que Joël franchit allégrement: les motos BMW écureuil du Dakar c'est lui.

En 1988, juste pour s'amuser, il participe à la coupe TDR. Il en profite avec d'autres concurrents pour s'engager avec la 250TDR à l'open 250 de Lédenon. Des 250TDR au milieu des TZ et RS...Fatal error. un trail ne doit pas être sur la même grille de départ qu'une moto de course et les TDR sont donc exclues sans appel. Joël tournait pourtant en 1'44, en pédalant avec les pieds dans la montée… Pas un chrono à être en pôle en Open mais un chrono à être régulièrement qualifié et aussi un chrono pour être devant en promosport 250.

Ensuite, l'aventure ERS s'achève brutalement et on perd la trace de Joël qui s'éloigne définitivement ( croit-il ) des circuits... Et puis, en 2008, il se retrouve avec une ancienne Honda 125RS avec l'espoir d'aller s'amuser avec au circuit de Bresse. La première reprise avec la piste se passe très mal, il chute au 3eme tour se fait mal... pneus froids? non, juste une trainée d'huile sur la piste. Après, en 2009 un copain qui l'entraîne à Chimay pour ce qui devait n'être qu'une démonstration et qui se transformera en course... une course mélangée avec "les amis de la coupe kawa" histoire de retrouver des vieux copains...

Après, en 2010 c'est l'IPC 125 avec la vaillante RS à Ostende, Chimay, Croix en Ternois, Joël est toujours dans le coup, jamais loin du podium. En 2010, c'est aussi le Bol classic. L'affiche était belle... la vraie Ducati à cadre Martin ex Saint Jean moto qui avait participé au bol d'or 1979, et Alain Vial comme coéquipier. Malheureusement, la Ducati était peut-être une splendide moto de collection-démonstration mais elle nécessitait certains aménagements pour s'aligner au départ d'une course. Alors, comme avec la Suzuki, Joël n'a pas beaucoup dormi les 15 jours avant le BOC mais cette fois ci, la moto est arrivée au circuit dans un fourgon.
Au 4ème tour des essais libres, sur un circuit qu'il découvrait avec une moto à déverminer il était déjà en 2'36 ensuite, le chrono va descendre, 2'20 en première manche de jour comme de nuit , 2'15 en seconde manche. On est peut-être loin des 1'55 de la pole mais la Ducati était une VRAIE moto de 1979! Comme lors des bol des années 80, Joël ne donnait même pas des signes d'une fatigue excessive à la fin de ses relais, allant même jusqu'à faire deux tours de trop parce qu'il n'avait pas vu le panneau "stop" ! En endurance, ne pas respecter ce genre de consignes est une erreur de débutant qui peut facilement se traduire par une panne d'essence mais ça montre bien aussi que le pilote est encore frais.

2011 ... Joël ne va pas s'en arrêter là quand même... Il retournera donc en Belgique chatouiller les gamins en IPC125 avec une RS revitaminée et il espère être au départ du Bol classic.
NB: l'IPC est la catégorie du championnat de belgique réservée aux 125 compétition client produit jusqu'en 1994. la majorité du plateau est composée de Honda 125 RS NF4. 

Gilles Chabanol 

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