GEORGES GODIER est né en 1944 à Reims. Il quitte l'école à 14 ans pour commencer un apprentissage de carrossier. Mais cela ne lui convient pas, et il préfère apprendre la mécanique sur le tas. Il entre à 16 ans chez un motociste, et débute sur des cyclomoteurs. Il s'achète avec ses économies une Paloma et tourne avec ses amis sur le circuit de Reims.
En 1962, à 18 ans, son patron l'emmène à Paris admirer les belles japonaises. L'envie de se lancer dans la course le tenaille, et malgré sa grande taille, il choisit de commencer par un 50 cm³ Honda kité à 4 vitesses alors que celui du champion en titre, Scherrier, n'en a que trois.
Georges décide alors de courir, mais il a bien du mal à se caser et participe à sa première course avec un Itom que lui a prêté Benjamin Savoye. C'est l'époque héroïque. Comme il n'a pas de moyen de transport, il part par le train direction Nevers. Arrivé de nuit à la gare, il traverse toute la ville en échappement libre. Ne connaissant ni le circuit, ni la machine, il fonce tête baissée et malgré une chute, il va finir à la 3ème place.
Dès la deuxième course, il prend son cyclo Honda, mais sans se faire d'illusions car il y a de sérieux clients. Toute la saison, il a buté sur un os nommé Pépin, mais il termine néanmoins à la 2ème place du Championnat de France.
Après c'est l'entracte, il est appelé sous les drapeaux. Il retrouvera sa situation et la moto, une 305 Honda, mais le démon de la compétition semble l'avoir abandonné, il s'en sert juste pour les ballades.
Le hasard va bien faire les choses. Sa moto tombe en panne à Genève. Ni une ni deux, il s'installe devant la boutique de l'importateur Honda et entreprend le démontage de son moteur... sous l'oeil intéressé du patron, Friedrichs. Ce dernier, surpris par la rapidité de son travail, lui propose un emploi sur le champ, et il lui parle aussi de compétition. Georges Godier accepte tout de suite, en plus le salaire est intéressant.
C'est à peu près à cette époque qu'il rencontre Édith, qui deviendra Mme Godier en 1967. Il quitte Reims pour s'établir près de St Julien en Genevois.
Dans un premier temps, il délaisse la compétition, et attend aussi que son patron lui fasse des propositions concrètes. Mais elles tardent à venir, et il passe chez Grob, l'importateur Norton. Grâce à la compréhension de ce dernier, il peut participer à plusieurs courses de côte. A cette époque, il avait déjà tiré un trait sur les Grands Prix et pensait revenir au circuit par le biais de l'endurance, étant intimement convaincu qu'un pilote privé, bien secondé par une organisation, peut figurer honorablement.
Il va alors rencontrer un Suisse sympathique: Alain Genoud. Tous deux vont faire partie du même moto-club de Genève. Lorsqu'ils se rencontrent, leurs situations sont différentes. Georges a 24 ans, marié et mécanicien de métier, et Alain a 20 ans, célibataire et barman.
ALAIN GENOUD a connu une tout autre enfance que Georges Godier. Il est né en Savoie, le 7 juin 1948, où ses parents exploitent une ferme. Il passe toute sa jeunesse à La Balme-de-Sillingy. Une fois ses études terminées, il reste 2 ans à la ferme. Mais cette vie ne le passionne pas, et il part "à la ville", en l'occurence Genève, et travaille dans une fabrique de cuir, mais cela ne le satisfait pas plus. Il s'inscrit alors à l'école hôtelière et, après 2 ans d'études, sort avec un beau diplôme qui lui permet d'être engagé pour 4 ans dans un restaurant 3 étoiles de Genève.
Pendant longtemps, il a mis de côté sa vieille passion, la moto. Mais elle se réveille et ses maigres économies sont vite transformées en un 90cm³ Honda, puis en une 450cm³ Honda. C'est l'époque où il rencontre Godier.
Il se contente d'abord d'accompagner son ami aux courses. Lorsque que Georges vend sa Honda 5 vitesses, il la lui rachète, prend sa licence "débutant", et, pour sa première saison, termine 3ème du Championnat de Suisse.
Dès lors, les deux compères vont entamer deux carrières parallèles, mais, comme chacun sait, les parallèles finissent par se rejoindre à l'infini.
C'est Godier qui, le premier, va se lancer dans le grand bain de l'endurance. Les débuts se font en 1970. Il partage une Norton avec le fils de l'importateur. C'est un échec cuisant. Pourtant la voie est tracée, ce sera l'endurance ou rien.
Genoud ne tient pas le même raisonnement. Il donne la priorité au circuit, l'endurance n'étant qu'une course de complément.
Contre toute attente, c'est Genoud qui va obtenir les meilleurs résultats. Associé à Maurice Maingret, il mène sa 450 Honda à la 3ème place des 24h de Liège. En fin de saison, il est engagé par Honda pour piloter une 250. Avec Michel Besse, il occupera longtemps la 1ère place. Mais tous deux sont encore des amateurs
Il est vrai qu'à cette époque il parait impensable de faire une carrière pro. Ils doivent ruser l'un et l'autre pour s'absenter en fin de semaine.
Pour Godier, rien ne va plus, la Norton ne fait que casser, il est complètement démoralisé. Alain de son côté se lasse un peu de sa solitude.
Les deux hommes s'entendent bien et en 1972 décident d'unir leurs efforts. Ils se partagent le travail: Godier mécanicien, Genoud organisateur. Ils forment une bonne équipe, et ainsi le niveau des finances remonte. Reste cependant à se décider pour le matériel. Georges ne jure que par Norton, Alain que par Honda.
Ils s'accordent finalement pour une Honda, et achètent une 750 en épave, et récupèrent le moteur. Georges se contente de modifier le pignon de première et d'un léger travail de culasse. Il monte le tout dans un cadre Egli, allégé, et pensé uniquement en fonction des besoins de l'endurance. Son expérience Norton lui sert beaucoup. Ainsi préparée, la moto peut tourner des heures durant, supporter les chutes, en un mot, elle est quasiment indestructible.
Le premier rendez-vous est fixé aux 10h de Montlhéry. Alain ne peut courir du fait de sa nationalité suisse, il est remplacé par Maurice Maingret. Le début se passe bien mais un ennui de lubrification bloque le moteur.
Peu de temps après, au Mans, tout va bien, mais 2 chutes vont ruiner leurs espoirs.
Le doute commence à les envahir, ils décident alors de tenter une ultime chance aux 24h de Barcelone. C'est le parcours sans faute. La moto marche bien, les pilotes sont en forme, et ils vont terminés 5ème, sentant que la victoire est à leur portée.
Celle-ci va leur sourire dès la course suivante, à Zolder. Ils vont occuper la tête pratiquement du début à la fin et franchir la ligne d'arrivée dans un triomphe.
A Mettet, en Belgique, ils terminent 3ème, battus par 2 Honda d'usine. Mais Georges ne s'effraie pas de cette lenteur relative. Il commence à assimiler l'endurance et à s'en faire une idée précise: on ne doit jamais s'arrêter en endurance. Pour cela il faut conserver un bon équilibre entre vitesse et usure des pièces qu'elle entraine.
Forts de ces grands principes, ils s'alignent au Bol d'Or et ils terminent à un tour seulement de la Japauto de Debrock et Ruiz, battus à cause d'un réservoir insuffisant et d'un trop long changement de roue. Mais cette 2ème place leur permet de décrocher le titre de Champions d'Europe, sans même participer à la dernière épreuve.
Au début de 1973, Georges est toujours mécanicien chez Grob et Alain maitre d'hôtel. Ils conservent la même moto mais améliorée. Bien que leur machine soit plus évoluée que la concurrence, la chance semble tourner.
Ils sont 3ème à Barcelone, 2ème à Mettet, cassent à Spa at aux 1000kms du Mans, et abandonnent au Bol d'Or.
Des tribunes, un ami de l'équipage, Serge Rosset, employé de banque à Genève, assiste à la course. Il voit aux Mans sa première course de motos et la découvre avec des yeux neufs. Il s'étonne que la Honda de ses amis ne soit pas couverte d'auto-collants comme les autres motos. Il comprend tout de suite que personne ne s'est jamais occupé de l'aspect publicitaire. De fil en aiguille, il deviendra le 3ème homme, et sera chargé des contacts extérieurs.
Une proposition est faite à Honda qui la refuse. Ils se tournent alors vers Kawasaki, et M.Maugendre, l'importateur en France, accepte. Ils vont pouvoir disposer d'un budget et de pièces détachées pour construire deux motos.
Leur vie va désormais changer.
Leur première course sur Kawasaki se solde par un échec. Ce n'est plus comme avant, car il faut désormais rendre des comptes. Georges travaille d'arrache-pied pour le 2ème round: Barcelone.
Sur ce circuit qui leur a déjà porté chance, ils veulent prendre leur revanche, et ils vont le faire, et entamer ainsi leur plus brillante saison d'endurance:
1er à Barcelone, à Mettet, et au Bol d'Or, 2ème à Zolder!
A la clef, un nouveau titre de Champion d'Europe, le premier pour Kawasaki.
Très vite, l'équipage sympathique formé par Godier-Genoud devient très populaire.
Côté Kawasaki, les amours sont au beau fixe. Le budget est non seulement reconduit mais augmenté pour aligner trois machines.
Cependant, Godier et Genoud ne veulent pas s'arrêter là. Au cours de l'hiver, Georges rencontre un de ses anciens amis d'enfance, Pierre Doncques, maintenant professeur à l'I-U-T d'Amiens, mais toujours passionné pour les deux-roues.
Pierre propose de construire la moto d'endurance parfaite. Le projet est révolutionnaire. Plus rien de commun avec ce qui existe. Tout a été pensé en fonction d'une accessibilité et d'une légèreté maximale.
Quand le feu vert est donné, on assiste à la naissance d'une moto intelligente, rationnelle, efficace, constituée d'unités autonomes qui ne se réparent pas mais se changent pour gagner du temps.
La saison 1975 donne raison à toute l'équipe. Mais la concurrence devient de plus en plus sévère. L'écurie Godier-Genoud effectue une saison exemplaire, trouvant son apothéose au Bol d'Or, qu'ils remportent pour la seconde fois consécutive, suivis de peu par Duhamel-Baldé au guidon de la troisième moto du team qui enlève ... la 3ème place.
Il faut cependant attendre l'ultime épreuve pour connaître les Champions d'Europe 1975.
Le matin de la course, ils sont 5 à pouvoir l'emporter, mais ce ne sera qu'une semaine après la course, à cause d'erreurs de chronométrage, que Godier et Genoud seront officiellement sacrés, leur 3ème titre.
Ils décident alors de se retirer en pleine gloire. Il faut dire que l'affaire qu'ils ont créé à Viry, en Haute-Savoie, les occupe de plus en plus. Ils commercialisent aussi une Kawasaki, baptisée "Godier-Genoud".
Toutes ces activités sont de plus en plus prenantes. Pour mieux surveiller leurs affaires, pour ne pas les compromettre aussi, ils vont désormais se consacrer à la préparation.
Pour 1976, l'écurie Godier-Genoud défend les couleurs de Kawasaki, les motos de la saison précédente sont légèrement modifiées et confiées à des pilotes de renom.
Si Genoud ne se déplace pratiquement plus, sauf dans les grandes occasions, Godier s'occupe de la préparation des machines, Rosset faisant toujours office de team manager.
Mais Honda revient en force et il semble que la chance ne soit plus côté Verts. Des incidents mineurs vont les priver de bons résultats. Au Bol d'Or, les Verts redressent la tête et s'intercalent parmi les Honda.
En cours de saison, pour combler un manque relatif de puissance, ils développent un modèle à injection.
Malgré une victoire, l'expérience ne sera pas poursuivie... méfiance de l'innovation!
Kawasaki décide de réduire ses efforts en 1977 et une seule moto sera désormais engagée dans le championnat d'Europe, mais deux au Bol d'Or toutefois.
Les Verts marquent le pas et ne peuvent rien contre le rouleau compresseur Honda. Pourtant au Bol d'Or, la machine de Baldé-Frutschi ménera longtemps la vie dure à l'armada Honda, mais elle devra se contenter de la 2ème place.
La course coûte de plus en plus cher et seule une aide efficace de l'usine pourrait leur permettre de lutter à armes égales. Mais cela parait de moins en moins probable.
Malgré tout, leur amour de la course est toujours aussi intact et encore souvent il y aura au départ des épreuves d'endurance et du Tour de France une ou plusieurs Godier-Genoud.